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* Le Chevalier de FREMINVILLE (1837) : 

(remise en page, réorganisation des notes de renvois, et documentation par JC Even).

" La ville de Dinan, où je fis quelque séjour, est peut-être de toute la Bretagne, celle qui a le mieux conservé jusqu'à nos jours l'aspect, les formes, la physionomie et le coloris du moyen âge; lorsque je la vis pour la première fois, l'enceinte de ses fortifications, ses tours, ses portes étaient encore intactes. Dans l'intérieur, ses rues, ses places étaient bordées de maisons gothiques de différents âges, mais accusant surtout les quatorzième et quinzième siècles. Rien depuis Du Guesclin semblait n'y avoir changé et je m'y serais cru réellement transporté au temps de ce héros, si les costumes des habitants qui circulaient dans son enceinte, en détruisant une illusion trop flatteuse, n'étaient venus me rappeler que je vivais dans un siècle qui n'a plus la moindre ressemblance avec le sien.

Les fortifications de Dinan sont remarquables, autant par leur force que par leur aspect, auquel on a donné toute l'élégance et la légèreté dont l'architecture militaire est susceptible. Ses remparts, de dix pieds d'épaisseur, sont tout bordés de créneaux et de mâchicoulis à petits arceaux ogives. Les tours en général à pans coupés, sont fort élevées, à plates-formes environnées d'un parapet crénelé, lequel est soutenu par des encorbellements très-longs et très-élancés. Les mâchicoulis pratiqués dans leurs intervalles sont enrichis de découpures gothiques. Les fenêtres qui éclairent les différents étages des tours sont presque toutes en ogives.

Ces fortifications, que je ne puis comparer pour la beauté et la délicatesse de leur travail, qu'à celles si renommées d'Avignon, furent comme elles bâties au quatorzième siècle. Auparavant, la ville de Dinan n'était défendue que par des palissades en bois; aujourd'hui la plus grande partie de ces ouvrages est détruite.

Selon de fort anciennes traditions, l'origine de la ville de Dinan daterait d'une antiquité très-reculée. Duchesne 1 en fait remonter l'établissement à l'an 5oo avant Jésus-Christ. Ce n'était alors qu'une réunion de huttes en bois, construites au milieu de la forêt de Faigne 2 et habitées par une peuplade barbare, vêtue de peaux de bêtes.3 Selon ce même auteur le nom de Dinan, qui était autrefois Dianacum, vient par une simple transposition de lettres de celui de la déesse Diane, qui y était adorée; nous avons fait déjà quelque fois sentir le ridicule de ces étymologies forcées que la raison ne peut admettre.

D'autres personnes prétendent que Dinan était la cité de Naiodunurn, mentionnée dans la table de Peutinger, et capitale du pays des Diablintes; nous ne pouvons admettre ce sentiment, d'abord à cause qu'il n'y a aucune ressemblance entre les mots Dinan et Naiodunum. Ensuite parce que la table de Peutinger est une si mauvaise autorité, que nous sommes surpris de voir que des gens de bon sens s'en étayent si souvent. Au lieu de faire l'étalage d'une érudition plus pédantesque que profonde, pour chercher de ces origines forcées et invraisemblables, ne vaudrait-il pas mieux convenir de bonne foi que celle de la ville de Dinan et l'étymologie de son nom sont inconnues ? 4

La contrée aux environs de cette ville est riante, bien boisée et offre à chaque pas des sites et des paysages charmants. Elle avait autrefois des seigneurs particuliers, revêtus du titre de vicomte et dont la famille a produit plusieurs hommes célèbres. Plusieurs historiens pensent même, non sans beaucoup d'apparence de raison , que l'illustre Du Guesclin était issu d'une branche cadette de la maison de Dinan. Le premier vicomte de Dinan mentionné dans les chroniques bretonnes, est un certain Hamon, qui vivait en l'an 1000. Toutefois dès l'an 850, le Roi de Bretagne Nomenoë, avait fait ériger au lieu nommé Lehon, à l'extrémité d'un des faubourgs de la ville actuelle, un prieuré pour six religieux.

On bâtit ensuite pour la défense de ce prieuré, une forteresse qui fut assiégée en 1004, par Alain Caignard, comte de Cornouailles, mais il ne put s'en rendre maître. Henri II, Roi d'Angleterre, eut plus de succès en 1168, il prit d'assaut le château de Lehon et y exerça les plus grandes cruautés. On voit encore aujourd'hui quelques vestiges de cette place forte.

Le couvent des dominicains de Dinan fut fondé en 1224, par un seigneur de Coëtquen.

Le couvent des cordeliers de Dinan fut établi en 1240, et leur église fut achevée en 1261, par les bienfaits de Henri d'Avaugour et de son épouse Marguerite du Maine. Ce chevalier qui s'était particulièrement signalé à la première croisade de S.t Louis (1249), prit à son retour de la Palestine, l'habit de religieux de cet ordre, s'enferma dans le couvent dont il était le bienfaiteur et y mourut le 6 Octobre 1281. Il fut enterré dans l'église, et on y voyait encore sa statue couchée sur son tombeau avant les ravages des révolutionnaires. Cette sépulture était placée du côté de l'évangile, et selon la dernière volonté de d'Avaugour, sa statue le représentait en habit de franciscain. Sur un des vitraux du chœur, le même seigneur était représenté, mais ici dans son costume militaire, revêtu de son armure, qui consistait en un haubert avec ses manches et chausses de mailles, sur la tête il portait un de ces heaumes en forme de tambour, c'est-à-dire cylindrique et à sommet plat, constamment en usage sous le règne de S.t Louis. Il avait l'épée à la main et son écu pendu au cou. En un mot, dans ce vitrail, la figure de Henri d'Avaugour était équipée absolument comme celle de Pierre de Dreux, que nous avons donnée dans nos Antiquités du Morbihan.

Avaugour

L'église des cordeliers et les nombreux monuments qu'elle renfermait sont aujourd'hui détruits. 

En 1276 Jean I, Duc de Bretagne, réunit la ville de Dinan au domaine ducal, par l'acquisition qu'il en fit d'Alain d'Avaugour, comte de Goëllo et vicomte de Dinan.

Lancastre

Du Guesclin

Cantorbery

 

En 1358 le duc de Lancastre, que la valeur de Du Guesclin avait forcé de lever le long siège de Rennes, vint attaquer Dinan où il se retrouva encore opposé au même guerrier. La garnison était faible et le gouverneur de la ville (Penhoüet le boiteux) parlementa, et promit au général anglais de lui rendre sa place s'il n'était secouru dans l'espace de quinze jours. En attendant il y  eut trêve et suspension d'armes de part et d'autre. Ce fut pendant cette trêve que le chevalier anglais Thomas de Cantorby5, frère du primat d'Angleterre, s'empara, contre la foi des traités, du jeune Olivier Du Guesclin , frère de Bertrand, qui était allé se promener sans armes hors de la ville. En vain ce jeune homme réclama-t-il contre cette violation du droit des gens, Cantorby lui dit qu'il y avait longtemps qu'il cherchait l'occasion de faire quelque déplaisir à ce Du Guesclin, qui avait fait tant de mal à l'Angleterre, et qu'il ne sérait jamais relâché à moins d'une rançon de mille florins d'or.

Un des écuyers qui accompagnaient ce jeune homme rentra vite dans Dinan et fut raconter à Du Guesclin ce qui venait de se passer. Celui-ci quittant brusquement une partie de longue paume qu'il faisait avec quelques amis, courut au camp anglais et se présenta sous la lente du duc de Lancastre, qu'il trouva jouant aux échecs avec Chandos. Ces deux grands hommes de guerre accueillirent avec empressement le vaillant chevalier breton, lui firent mille caresses, mille offres de service, mais Du Guesclin mettant le genou en terre devant le prince anglais, lui dit qu'il ne voulait autre chose que justice de l'attentat commis en la personne de son frère, par Cantorby, qui l'avait fait prisonnier malgré la trêve.

Le duc de Lancastre indigné de cette trahison de la part d'un de ses officiers, manda sur-le-champ Cantorby en sa présence, le tança sévèrement et lui ordonna de remettre de suite le jeune Olivier, libre, entre les mains de son frère.

Cantorby oubliant le respect qu'il devait à son général, et sans tenir aucun compte de ses reproches ni de ses ordres, répondit avec arrogance qu'il avait fait à bon droit Olivier Du Guesclin prisonnier, qu'il ne le rendrait qu'avec une forte rançon , et que si quelqu'un osait soutenir le contraire, il le défiait au combat à outrance. En même temps il jeta a terre son gantelet pour gage de défi. Bertrand Du Guesclin se précipita dessus et le ramassa, en lui disant : « Vous avez eu la témérité de jeter votre gage de bataille pour maintenir une mauvaise cause, mais je ferai voir à tous les seigneurs qui sont en cette compagnie, que vous êtes un mauvais homme, plein d'artifice et de trahison. Chandos, qui, quoique son rival en gloire, aimait et estimait Du Guesclin, et qui de plus était outré de l'insolence de Cantorby, offrit au chevalier breton une excellente armure qu'il avait, et le meilleur cheval de son écurie, pour lui servir le jour du combat. Bertrand accepta cette offre généreuse, et ainsi ce fut avec les armes d'un Anglais qu'il combattit et défit un autre Anglais.

Il fut convenu , de l'aveu même du duc de Lancastre, et sur l'instance du gouverneur de Dinan, qui craignait quelque trahison contre Du. Guesclin, que le combat aurait lieu dans la ville même, sur une des places, que l'on fit environner de lices et d'échafauds pour les spectateurs 6 . On convint que le duc de Lancastre avec vingt de ses principaux officiers, pourraient entrer librement dans la ville pour y assister, et le boiteux de Penhoüet même, lui fit la courtoisie de lui céder la présidence de ce combat solennel.

Au jour fixé, le prince anglais et ses généraux, le gouverneur et ses officiers, une foule de dames et d'habitants de la ville, vinrent se placer sur les échafauds pour être témoins des faits d'armes qui allaient se passer dans la lice. Parmi ce grand nombre de spectateurs, il n'en était pas un seul qui ne fit des vœux pour Du Guesclin, tant sa cause paraissait juste à tous, et tant l'action de Cantorby leur semblait révoltante.

Les deux adversaires entrèrent donc dans la lice, tous deux bien montés, armés de pied en cap, l'épée au poing et la dague au côté. Cependant Cantorby qui avait fait quelques réflexions, hésita à combattre. Le comte de Pembrok et Jean Chandos s'avancèrent de sa part vers Du Guesclin, et lui dirent en son nom, qu'il convenait qu'il avait agi un peu légèrement en faisant son frère prisonnier, et que s'il voulait que l'affaire en demeurât là, il consentait à le lui rendre sans exiger de rançon. Mais Du Guesclin encore irrité des propos insolents que son ennemi lui avait tenus au camp, et n'étant d'ailleurs pas homme à venir en champ clos pour parlementer et non se battre, répondit aux deux chevaliers anglais qu'il ne consentirait à aucun accommodement, à moins que Cantorby ne se soumit à lui apporter son épée par la pointe et à se remettre à sa discrétion. Le comte de Pembrok répliqua que cette condition humiliante ne pouvait s'accepter; le pourparler fut rompu et le duc de Lancastre fit sonner le signal.

Les deux ennemis s'élancèrent aussitôt l'un sur l'autre et s'attaquèrent avec tant d'animosité, se portèrent dos coups si terribles, que mille étincelles jaillissaient do leurs armures; au bout de quelques instants de ce combat acharné, l'épée de Cantorby lui échappa des mains et tomba par terre. Aussitôt Du Guesclin sauta à bas de son cheval, ramassa cette épée et la jeta hors du champ clos. Cantorby le voyant à pied, essaya de lui faire passer son cheval sur le corps, le Breton l'esquiva par son agilité , tachant en même temps de lui porter quelque coup dangereux. Cependant il sentit qu'il lui serait impossible de continuer longtemps un pareil exercice a pied et chargé d'une armure pesante. Profitant donc d'un moment où l'Anglais qui avait pris du champ pour revenir sur lui au galop, se trouvait à quelque distance, il s'assit froidement à terre, ôta ses genouillères qui le gênaient pour plier les jarrets, et tenant son épée droite en sa main, il attendit dans cette posture Cantorby, qui, fondant sur lui au galop, comptait bien cette fois l'écraser. Mais notre Bertrand se jeta adroitement de côté et prit si bien son temps, qu'il enfonça jusqu'à la garde son épée large de quatre doigts, dans le poitrail du cheval de son adversaire. L'animal se sentant si grièvement blessé, se cabra, s'agita, ne reconnut plus de frein, son cavalier prévoyant sa chute, s'élança à bas pour ne pas être engagé sous son corps.

Dès lors les deux combattants s'attaquèrent à pied. Du Guesclin, pour que la partie fut égale, mit son épée au fourreau et ne se servit que de sa dague, Cantorby n'ayant plus que cette arme. Au bout d'un moment il le joignit corps à corps, l'enlaça dans ses bras de fer, l'enleva de terre, et l'ayant à demi étouffé, il l'étendit sur l'arène presque sans sentiment. Lui mettant alors un genou sur la poitrine et lui arrachant son casque, il lui mit la dague sur la gorge en lui ordonnant de confesser l'injustice de sa cause ou de se préparer à mourir. Cantorby furieux, refusa de rien avouer. Du Guesclin allait lui couper la tête, lorsque plusieurs chevaliers anglais s'avancèrent vers lui et lui demandèrent avec instance la vie de leur compatriote; il répondit qu'il ne l'accorderait qu'à la seule prière du duc de Lancastre. Ce prince d'abord n'en voulut rien faire, disant que Cantorby était justement puni et que Du Guesclin ferait bien de le tuer. A la fin, vaincu par les supplications de Chandos, de Pembrok et des dames de la ville, le duc céda et s'adressant à Du Guesclin, lui dit : « Vaillant Bertrand, me le donnez-vous ? — Oui Monseigneur, répondit celui-ci, pourvu qu'il confesse la méchanceté de sa cause. — II le doit et je le lui ordonne, répliqua le duc. » Cantorby alors confessa son tort, Du Guesclin lui laissa la vie; mais il fut selon la loi de ces sortes de combats, emporté hors du champ, étendu sur une claie et jeté par-dessus les lices, ce qui était une note d'infamie.

Du Guesclin victorieux fut conduit en triomphe chez le gouverneur, où il fut fêté et complimenté avec empressement par tous les habilants de la ville. Chandos et le duc lui-même lui donnèrent des fêtes, et ce dernier lui dit : « Bien heureux » est le Roi, Messire Bertrand , qui est servi par un capitaine tel que vous ! »

Ce fut à l'occasion de ces fêtes que Du Guesclin fit la connaissance de l'aimable Stéphanie Raguenel 7 fille de Robert Raguenel, vicomte de la Bellière et l'un des champions du combat des trente. Il ne tarda guère a épouser ensuite cette demoiselle.

A la suite de ce combat que nous venons de raconter, le duc de Lancastre abandonna le siège de Dinan.

 

En 1364 , Jean IV (de Montfort) s'empara de Dinan que Du Guesclin lui reprit en 1373.

En 1488, le vicomte de Rohan, étant entré en Bretagne à la tête de l'armée du roi Charles VIII, vint investir la ville de Dinan. Elle lui fut remise sans coup férir par Amaury de la Moussaye , qui en était alors gouverneur.

Le roi Charles IX, la reine mère, le duc d'Anjou son frère (depuis Henri III) accompagnés de toute la cour, visitèrent la ville de Dinan, se rendant à S.t Malo.

Lors de la guerre de la ligue, le duc de Mercœur considérait Dinan comme sa principale place de sûreté. Il en avait confié la garde au capitaine S.t-Laurent dont nous avons déjà parlé et qui était un de ses meilleurs officiers. 8 Au mois de Mai 1597, ce capitaine ayant été obligé de s'absenter momentanément, son lieutenant, qui penchait pour le parti royaliste, entreprit de remettre la place à Henri IV et arbora le drapeau blanc. Sa garnison ne le seconda pas, et S.' Laurent de retour, le fit pendre avec les Sieurs de Rais et de Pleumodan, soupçonnés d'avoir pris part au complot.9

L'édifice ancien, le plus remarquable de la ville de Dinan est l'église de St-Sauveur. Son portail surtout qui remonte à des temps déjà fort éloignés et dont l'architecture a beaucoup de ce style Byzantin qui s'introduisit en France aux neuvième et dixième siècle. Ce portail consiste en trois arcades à plein ceintres. Chaque arcade est à triples ceintres ornés d'un cordon en moulure et soutenus par des colonnes dont les chapiteaux sont ornés de figures monstrueuses d'animaux chimériques d'un dessin et d'un style très-curieux. Les colonnes les plus intérieures des arcades latérales, sont torses, ou ornées de haut en bas d'une moulure en spirale, type qui appartient absolument à l'architecture Byzantine.

L'arcade du milieu est seule ouverte, et sert d'entrée à l'église. Les deux autres sont pleines; on voit sous chacune d'elles deux statues très-mutilées , dont les traits sont effacés , qui ont les mains jointes, sont vêtues de longues robes et ont les pieds posés sur des animaux couchés dont on ne peut guère désigner l'espèce.

Au dessus du ceintre de l'arcade du milieu est une figure de femme, ayant une espèce de coiffe carrée. A droite et à gauche, deux évangélistes, détails encore empruntés à l'architecture Byzantine. Enfin deux mascarons hideux sont de chaque côté de ces évangélistes.

La construction de ce portail curieux remonte au-moins au commencement du onzième siècle. Le pignon qui le surmonte est bien moins ancien ainsi que l'atteste la grande fenêtre ogive et a compartiments gothiques-arabes dont il est percé. Tout le reste de l'église appartient aux treizième et quatorzième siècle.

La chapelle de S.t Malo d'une architecture à plein ceintres, mais très-bas et très-surbaissés, me paraît être encore plus ancienne que le portail de S.t Sauveur.

La ville de Dinan renferme la relique la plus précieuse que possède aujourd'hui la Bretagne, le cœur du connétable Bertrand Du Guesclin. Ce grand homme par dispositions testamentaires, avait désiré que son cœur fut transporté a Dinan pour y être inhumé dans l'église des Jacobins de celle ville a côté du tombeau de Stéphanie Raguenel sa première femme, qu'il avait tendrement aimée. Cette dernière volonté fut religieusement accomplie.10 En 1809 lorsqu'on démolit l'église des Jacobins, on retrouva ce cœur vénérable et par un heureux hasard, je me trouvai moi-même alors dans la ville de Dinan où j'ai pu le contempler. Il était embaumé et enfermé dans un cœur en plomb. On avait placé par dessus une grande pierre plate, sur laquelle était sculptée en creux et d'une manière grossière le blason de Du Guesclin, c'est à dire l'aigle de sable à deux têtes, éployée, becquetée et membrée de gueules, à la bande de gueules brochant sur le tout. Au dessous était écrite en grands caractères gothiques, carrés, mal formés et mal alignés, l'épitaphe suivante.

Ci gist le Cueur de Mesure Bertran

Dugueaqui en son vivant conestable

 de France qui trespassa le XIII jour de juillet l'an mil IIIcc IIIIxx dont son

corps repose avec ceux des Rois à

Sainct Denys en France,

M. Néel alors sous-préfet de Dinan, fit transporter solennellement le cœur de Du Guesclin dans l'église de S.t Sauveur. Il y fut déposé dans une excavation pratiquée exprès dans un des piliers, et la pierre tumulaire qui le recouvrait aux jacobins, fut placée au-devant, dans une position verticale.

Du Guesclin après avoir fourni sa glorieuse carrière, affermi son roi sur le trône, chassé les Anglais du royaume, rétabli deux fois sur le trône de Castille le prince Henri de Transtamarre, rempli enfin l'Europe entière de l'éclat de son nom et du bruit de ses exploits, Du Guesclin mourut de maladie le 13 Juillet 1380 devant la ville de Châteauneuf Rendan dont il faisait le siège. Les ennemis dans cette circonstance lui rendirent un honneur que n'obtint jamais aucun autre guerrier. Le gouverneur de la ville assiégée avait promis de la rendre au connétable s'il n'était pas secouru à l'époque du 12 Juillet; le secours ne vint pas; mais Du Guesclin expira dans la nuit du 12 au 13. Le gouverneur de Rendan malgré son trépas, ne s'en crut pas moins obligé de lui tenir sa parole. Il vint donc à la tête de ses officiers au camp de Du Guesclin, et s'agenouillant à la porte de la tente ou gissaient les restes du héros, il déposa les clefs de la ville sur son cercueil.11

La France possède encore l'épée de connétable de Bertrand Du Guesclin. Echappée comme par miracle aux bouleversements, aux ravages des révolutions, elle est conservée au musée de l'artillerie à Paris. Sa lame large de quatre doigts à sa base, est droite, a deux tranchants et se termine en pointe. Elle est longue d'environ deux pieds huit pouces. Au milieu est gravé un cercle semé de fleurs de lys. Sa base est aussi semée de fleurs de lys. Sa croisée en cuivre doré est droite mais se recourbe en une petite boule à chacune de ses extrémités. La poignée est d'ébène; le pommeau de cuivre doré a la forme d'une grosse boule plate; il est aussi semé de fleurs de lys au milieu desquelles était incrusté un petit écusson qui est tombé et sur le quel peut-être étaient représentées les armoiries du connétable.

A l'époque des journées de Juillet, des flots de populace se ruèrent sur le musée d'artillerie, pour le piller bien plus que pour s'armer, car quel usage eut-on pu faire de mousquets à mèche et d'arquebuses à rouet, dont on n'avait même pas les clefs nécessaires pour les bander ? Un de ces misérables osa saisir l'épée du connétable, elle était trop lourde pour un bras tel que le sien, il la laissa, mais s'empara de son fourreau de velours violet semé de fleurs de lys d'or massif, qui tentèrent sa cupidité. Ce fourreau n'a pas reparu. Du Guesclin dût frémir dans sa tombe, si du fond des caveaux de St Denis, ses mânes illustres ont pu voir les mains infames, qui ont renversé l'antique monarchie française, polluer la noble épée qui en avait été le plus ferme soutien !' 12

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1 Les antiquités et recherches des villes, châteaux, etc., de la France, par Duchesne. - Paris, chez Jean Guignard. - 1637.

2. Du mot fagus, hêtre, parce que des arbres de cette espèce dominaient dans cette forêt.

3. Les habitants des arrondissements limitrophes de Fougères et de Vitré, ont conservé ce costume jusqu'à présent.

4. Il faut enfin que nous fassions connaître à nos lecteurs, dont la plus grande partie l'ignore probablement, ce que c'était que cette table ou carte de Peutinger, que tant d'écrivains nous jettent sans cesse en avant pour appuyer les origines romaines qu'ils veulent donner a toutes nos villes, et s'efforcer d'y retrouver leurs positions géographiques. Chacun pourra d'après cela juger du poids d'une autorité si souvent invoquée et selon nous si absurde.

La carte de Peutinger est un ouvrage confus et grossier, d'un moine du treizième siècle. Tout y est défiguré d'une manière méconnaissable; configurations de côtes, latitudes et longitudes, rien n'y est observé. Tous les fleuves y coulent de l'Est à l'ouest, quelles que soient d'ailleurs leurs véritables directions; ainsi, la Seine et le Rhône, le Rhin et la Loire coulent également et parallèlement, d'Orient en Occident. Je le demande, quel parti peut-on raisonnablement tirer d'une semblable confusion ? On a voulu que cette carte, appelée de Peutinger parce qu'elle appartenait au seizième siècle à Conrad Peutinger, noble littérateur d'Ausbourg, et le plus ancien des antiquaires allemands, on a voulu dis-je, que cette carte fut une copie faite au treizième siècle, d'après une autre dressée du temps d'Alexandre Sévère (vers 280 environ), mais on n'a jamais pu produire la plus petite preuve à l'appui de cette assertion.

La carte de Peutinger telle qu'on la possède encore, est dessinée sur douze feuilles de parchemin (une est à présent perdue), lesquelles réunies ont vingt-un pieds de long sur un seulement de hauteur ; de sorte que tous les pays y paraissent comme écrasés et comprimés. L'écriture en est gothique carrée.

5. Altération de Cantorbery. Nous conserverons pourtant cette dénomination, toute défectueuse qu'elle soit, parce que les historiens de l'époque l'ont adoptée et pour ainsi dire consacrée.

6. Cette place existe encore, on l'a environnée d'allées d'arbres, qui forment une des promenades de la ville, et elle porte le nom de Champ Du Guesclin, en mémoire de la victoire qu'il y remporta dans le combat singulier que nous rapportons.

7. Les auteurs du temps rappellent Tiphaine, suivant la mauvaise coutume si ordinaire au moyen âge, de défigurer tous les noms propres.

8. S.t Laurent était de la maison du Bois de la Molle.

9. Nous ne devons pas oublier de mentionner ici que c'est à Dinan que naquit le célèbre Mahé de la Bourdonnaye, gouverneur de l'île de France, et en quelque sorte fondateur ou du moins bienfaiteur de cette belle colonie.

10 Le Roi Charles V voulant honorer sa mémoire de la manière la plus insigne, ordonna que le corps de son connétable fut transporté à S.t Denis et inhumé aux pieds du tombeau qu'il s'était déjà fait préparer pour lui même et où il descendit deux mois après la mort de Du Guesclin. Louis le grand honora de la même façon la mémoire de Turenne, le Du Guesclin de son époque. - Les obsèques de Du Guesclin furent célébrés par un service solennel que lui fit faire Charles VI en 1389, et dont rend compte un morceau de poésie curieux en ce qu'il nous apprend quel cérémonial y fut observé. Nous le rapporterons à la fin de ce volume. Il a été composé dans le temps même,

11. Ce trait sans exemple, inspira à Du Belloy ce beau vers de sa tragédie de Gaston et Bayard : « Du Guesclin au tombeau, soumit encore des villes.

12. La moitié environ des armes qui furent alors enlevées de cet intéressant musée, y a depuis été réintégrée; le reste ne s'y reverra probablement jamais. Le fourreau de l'épée de Du Guesclin n'a pas reparu, non plus que le beau fusil de chasse garni en diamants, envoyé en présent au roi Louis XVI par Tippoo-Saëb.