retour à la page d'accueil : Saint-Cast en-dro d'ar bajenn-digemer : Sant-Kast

 

Bataille de Saint-Cast

du 3 au 11 septembre 1758 

Emgann Sant-Kast

eus an 3 d'an 11 Gwengolo 1758 

 

* Ogée (1779)

Le 3 septembre 1758, à cinq heures du matin, la flotte anglaise, composée de cent neuf voiles, parut à six lieues du Cap-Fréhel, et, à six heures du soir, elle vint mouiller à une lieue par 1’est du château de la Latte. Le 4, à dix heures du matin, elle vint mouiller devant la baie de Saint-Briac, et y débarqua sans obstacle huit mille hommes, dont quatre cents dragons à cheval. L’infanterie campa au has de la montagne Garde-Guerin, et les dragons dans les villages voisins. Quelques détachements de dragons, pour reconnaître le pays, s’avancèrent jusqu’a la pointe de Dinart, et se retirèrent le soir. Six corsaires de Saint-Malo et la frégate du roi, la Renoncule, s’embossèrent devant Dinart et à l'ouverture de la rade, pour défendre aux Anglais l’entrée de la rivière de Rance. On craignait qu’ils eussent dessein de venir par là s’emparer de la pointe de la Cité, pour y établir des batteries et bombarder Saint-Malo. La nuit du 4 au 5, les Anglais brûlèrent vingt-deux barques de pêcheurs dans le port de Saint-Briac. Le 5, à quatre heures du matin, ils divisèrent leur premier établissement en trois camps, dont un fut poussé jusqu’à une demi-lieue de la pointe de Dinart. Ils portèrent sur la rive gauche de la rivière de Rance quelques détachements d’infanterie et de dragons, que le feu de nos corsaires obligea de se retirer. Ce jour-la, M. le comte de la Tour-d’Auvergne, colonel du régiment de Boulonnais, qui était à Saint-Malo, ayant reçu ordre, à midi, de faire sortir les grenadiers de son régiment pour observer la marche des ennemis, MM. le comte de Robien, lieutenant des grenadiers à  cheval; le marquis de Cucé, sous-lieutenant de la première compagnie de mousquetaires; le comte du Bois de la Motte, capitaine des vaisseaux du roi; le marquis de Montaigu, colonel retiré; Dorey, capitaine d'invalides et chevalier de Saint-Louis; de Narbonne et de Caud, gardes-du-corps du roi; de Boiseauvoyer et des Tullais, mousquetaires; de Kerguezec, de la Cornillière, de Montmuran, de Scot, de Pont-Fili et de Vaucouleurs, officiers de corsaires, gentilshommes bretons, qui s’étaient rendus à Saint-Malo de différents endroits de la province, au premier bruit de la descente, se joignirent en qualité de volontaires, à la compagnie des grenadiers du régiment de Boulonnais, et sortirent avec elle de Saint-Malo. Cette compagnie fut occupée à observer l’ennemi, a l’inquiéter dans ses marches, et a faire la petite guerre jusqu’au 10, qu’elle rejoignit son régiment. Elle fit, dans ces cinq jours, plusieurs prisonniers. Les 6 et 7, les troupes débarquées, à l’exception des partis et des détachements, restèrent dans le même état, et les vaisseaux ne remuèrent que pour éviter les courants et les mauvais moui1lages. Le 8, à trois heures du matin, les Anglais battirent la générale; à sept heures, ils baissèrent leurs tentes, et restèrent en bataille, à la tête de leur camp, jusqu’a midi, que, se reployant par leur droite, ils allèrent camper à Saint-Jacut, appuyant la droite de leur nouveau camp à la rivière du Guildo, et la gauche au marais Drouet. M. le duc d’Aiguillon, commandant dans la province, arriva à Lamballe, d’où il envoya un bataillon de volontaires-étrangers, avec un escadron du régiment de dragons de Marboeuf, aux ordres de M. le comte d’Aubigni, occuper Dinan, dont la sureté était importante, tant pour conserver la communication, que parce que nous y avions des magasins, et que c’était le lieu de rassemblée d’une colonne de nos troupes. M. Rioust de Villes-Audrains, habitant de Matignon, informé, la nuit précédente, de la position des Anglais, rassembla environ quatre-vingts hommes paysans et autres, et se proposa d’empêcher les Anglais de passer le gué du Guildo; il posta sa petite troupe dans les maisons du port et derrière les murs du jardin, le long de la rivière, qui se trouvait alors à sec, la mer étant retirée. Entre neuf et dix heures du matin, l’armée parut, et se disposa à passer; mais elle fut arrêtée par le feu vif et continuel de la troupe de M. de Villes-Audrains, dont les ennemis ne connaissaient pas la faiblesse; ils se retirèrent avec perte. Vers les trois heures de l’après-midi, les dragons se présentèrent pour passer à Quatrevaux; mais ils en furent empêchés par une partie de cette petite troupe de braves. Ils firent venir trois pièces de canon, et tentèrent encore inutilement le passage, que le retour de la marée rendit enfin impraticable. Ils se replièrent sur leur camp, en brûlant toutes les maisons du village sur la rive droite. M. le duc d’Aiguillon envoya ordre à M. d’Aubigni de se porter à Plouer avec le régiment de Brie, le premier bataillon des volontaires-étrangers, le bataillon de Marmande, trois bataillons de gardes-côtes, et deux escadrons de Marboeuf. M. de Polignac, colonel de Brie, qui fut tué dans le combat, avança jusqu’a Pleurtuit avec un fort détachement. M. de Béon, 1ieutenant-colonel de Boulonnais, sortit de Saint-Malo avec un détachement de cinq cents hommes, pour se porter sur Ploubalai, à la droite de M. de Polignac et à la gauche des ennemis. Le lendemain 9, à la pointe du jour, le feu recommença de part et d’autre, et dura jusqu'à cinq heures du soir, que les ennemis trouvèrent le moyen de faire reconnaître la petite troupe par un espion (4) qui échappa a la vigilance de M. de Ville-Audrains. Les ennemis passèrent sur-le-champ le Guildo, et campèrent entre Saint-Jeguhel et le Bois-Duval. M. de Saint-Pern fut détaché, pendant la nuit, avec six cents hommes, pour éclairer leur marche. Le I0, à quatre heures du midi, les Anglais se portèrent à Matignon, et y établirent leur camp. M. d’Aubigni passa le Guildo avec son détachement, et fut joint, vers les deux heures après midi, par la compagnie des grenadiers de Boulonnais et le corps de noblesse qui s’y était incorporé le 5 à Saint-Malo, par le régiment de Boulonnais, le bataillon de Fontenay-le-Comte, et deux bataillons de gardes-côtes. M.  d’Aubigni arriva dans cet état à quatre heures du soir, sur les ennemis, par leur droite. Il parut à toute sa division que c’était le moment d’attaquer, et les troupes montraient le plus grand désir de combattre; mais M. d’Aubigni, jugeant l’ennemi trop nombreux, n’ayant point d’ordre, et ignorant où était M. le duc d’Aiguillon, qu'il avait fait chercher inutilement par M. de Laumone, gentilhomme volontaire qui connaissait le pays, établit ses troupes par échelons dans les champs à droite et à gauche du grand chemin, et se replia, dans cet ordre, sur la droite de Saint-Potan, où il passa la nuit. M. le duc d’Aiguillon y arriva le soir; et M. de Broc, avec un détachement de trois cents hommes, fut chargé d’inquiéter les postes avancés des ennemis, et d’éclairer leurs mouvements pendant la nuit. Le 11, à six heures du matin, M. de Broc rendit compte de sa nuit a M. le duc d’Aiguillon, et l’informa que les ennemis avaient commencé leur retraite, et qu’ils travaillaient au rembarquement de leurs troupes dans l’anse de Saint-Cast. Sur-le-champ, la colonne de M. d’Aubigni se mit en marche, et arriva, en courant, sur les hauteurs de Saint-Cast. La flotte ennemie était en ligne, et les chaloupes travaillaient au rembarquement. L’arrière-garde des ennemis, composée de trois.../...

----------------
(1) Ce misérable se nommait Grumellon: il était de la paroisse de Saint-Lormel. Les Anglais ayant passé l’Arguenon, à la grève de Quatrevaux, remontèrent au Guildo, pour massacrer les défenseurs de ce passage. Ils n’y trouvèrent plus qu’un homme sourd et un vieillard, qu’ils tuèrent à coups de baïonnettes. Ce vieillard, ancien capitaine de paroisse, était oncle de Grumellon, et portait le même nom. (Récit du recteur de Saint-Cast).
-----------------
.../... mille hommes, était sur la plage, dans le fond de l’anse, présentant le plus bel ordre de bataille, derrière des retranchements de trois pieds d’élévation. Dès que notre infanterie fut aperçue sur la montagne, sept frégates et quatre bombardières, embossées tout près des terres, commencèrent un feu très-vif. Nos troupes restèrent en bataille, dans cet endroit, environ une demi-heure, tandis qu’on pressait la marche des canons qui suivaient nos régiments. Huit de ces canons arrivèrent et furent sur-le-champ mis en batterie, et commandés avec la promptitude et la valeur qui caractérisent M. de la Ville-Patour, aujourd’hui inspecteur-général du corps royal d’artillerie, maréchal-de-camp, grand’croix de l’ordre de Saint-Louis. Cet illustre officier sut, par son feu, retenir dans leurs retranchements les ennemis, qui parurent vouloir se former en colonne par leur centre, et marcher à nous sur la grève. Ils devaient être attaqués, en même temps, par la droite, par la gauche et par le centre. C’était, dit-on, le plan de M. le duc d’Aiguillon; mais, soit que M. d’Aubigni jugeât la colonne capable d’enfoncer celle des ennemis, ou qu’il craignit qu’ils ne se réembarquassent, à notre barbe, sans combattre, comme ils avaient fait trois mois auparavant, à Cancale, il n’y eut que la colonne gauche, qu’il commandait, à charger.
Rendue. vers les dix heures du matin. au village du Ros, par un petit chemin coupe derrière la montagne, la tête fit une halte d’environ un quart-d’heure, pour donner le temps à la queue de joindre. M. d'Aubigni arriva et commanda de marcher. La tête de cette colonne était composée, sur la gauche, d’une compagnie de grenadiers des volontaires-étrangers; au centre, de douze à quinze officiers et gentilshommes bretons, faisant le premier rang de la compagnie des grenadiers de Boulonnais; et, sur la droite, des grenadiers de Brie. Ceux de Boulonnais débouchèrent les premiers du village, par un défilé qui comportait à peine quatre hommes de front. Ils essuyèrent des vaisseaux embossés un feu particulièrement dirigé sur ce débouché. Ils gagnèrent, en courant environ trente pas, une petite dune, derrière laquelle ils se formèrent et dont ils s’épaulèrent pendant trois à quatre minutes, ne jugeant pas qu’il fut possible de franchir près d’une demi-lieue de grève plate, presque sous les vaisseaux, pour aller attaquer 1’ennemi. Dans cet endroit et dans ce moment, M. le marquis de Cucé reçut un coup de fusil a l’épaule, dont il mourut; M. le marquis [le comte] de Montaigu, un coup de fusil à la jambe, dont il mourut; M. de Narbonne, un coup de fusil au travers do la cuisse; M. le comte d’Auvergne fut renversé de trois coups de fusil, dont un lui cassait les reins et un autre le genou, ce qui ne l'empêchait pas d’encourager ses grenadiers avec une gaîté et des expressions dont lui seul est capable dans de semblables moments. Presque tous les officiers de grenadiers avaient été dangereusement blessés, et la compagnie ne marchait pas. M. d’Aubigni, qui donna par habitude des preuves de la plus grande valeur et de la plus ferme intrépidité, accourut aux gentilshommes volontaires, qui faisaient le front de l'attaque : Allons, Messieurs, leur dit-il, donnez l’exemple à ces gens-là. Sur-le-champ, les volontaires partent et courent de toutes leurs forces aux retranchements. Ils sont accompagnés des grenadiers de Boulonnais, qui se mêlent avec eux, en courant à toutes jambes, sous le feu continuel de l’artillerie et de la mousqueterie des vaisseaux, et en essuyant cinq décharges de la mousqueterie de terre. On arriva à vingt pas des retranchements. Les volontaires et les trois compagnies de grenadiers qui faisaient le front de l’attaque, déjà considérablement entamés, ne pouvant attendre, dans une position si désavantageuse, la colonne a peine sortie du débouché, employèrent leur feu, qu’ils avaient conservé jusque là, et se mirent à pousser unanimement de toutes leurs forces, les cris de : Victoire ! Vive  le roi ! en courant aux retranchements avec les baïonnettes. Cette valeur, dont il n’y a pas d’exemple, puisqu’à peine étaient-ils trois cents hommes rassemblés, et qu’ils arrivaient par deux, par trois, à toutes jambes et sans ordre, épouvanta l’ennemi et lui fit prendre la fuite. A l'exception de quelques soldats, qui défendirent pendant quelques moments 1’entrée des retranchements a coups de baïonnettes, chacun jeta ses armes, en criant : Miséricorde, brave France! et chacun chercha à se sauver, soit en gagnant la pointe de l’anse ou étaient les chaloupes, soit en se jetant à la mer pour se rendre aux vaisseaux à la nage. M. le  chevalier de Caud, qui reçut, dans cette occasion, un coup de baïonnette à la cuisse et une blessure à la tête, entré un des premiers dans les retranchements, appela les étendards. Il se servit, par habitude, de cette expression propre à la cavalerie, et elle fut répétée par le cri de passe-parole, dans toute la colonne, quoiqu’il n’y eut que de l’infanterie. Les ennemis, qui n’avaient pu sortir des retranchements, y étaient à genoux, se couvrant de chapelets (4), et criant miséricorde ! mais, comme le feu continuait des vaisseaux, qui tiraient dans ce moment à mitraille, et nous tuaient beaucoup de monde, le soldat, furieux, ne fit guère de quartier dans le commencement, et il y a grande apparence qu’il aurait fini de même, si M. d’Aubigni, qui conserva toujours sur la gauche la hauteur de notre première ligne, ne se fut porté partout,
avec autant de valeur que d’humanité, pour arrêter la rage des vainqueurs, faire cesser le feu, et ordonner qu’on fit des prisonniers. Les offi-.../...

-----------
(1) Il est inutile de relever cette assertion; elle tombe d'elle-même.

----------

.../... -ciers et soldats entraient dans la mer jusqu’à la gorge pour arrêter les ennemis qui cherchaient à se sauver, ou gravissaient après eux sur les rochers. De trois mille Anglais qui étaient à terre, aucun ne regagna les vaisseaux; mille à douze cents furent tués sur la place, huit cents périrent dans l’eau, et le reste, dont trente officiers de remarque, fut fait prisonnier (1). Quatorze compagnies de grenadiers, de mille hommes chacune, et deux bataillons des gardes à pied du roi d’Angleterre, l’élite des troupes de cette nation, furent défaits dans ce combat, où les troupes françaises donnèrent les plus grandes preuves de valeur, et où la Noblesse bretonne signala son zèle ordinaire pour le service du roi et la défense de la patrie. Le feu finit à  une heure après midi. Les troupes se formèrent sur la montagne, et M. le due d’Aiguillon leur envoya ordre de rentrer sur-le-champ dans leurs quartiers, laissant seulement six cents hommes pour enterrer les morts (2) et pour observer la flotte. Telle fut l’issue du combat de Saint-Cast, qui fit tant d’honneur au commandant de la province. Le peuple était dans l'enthousiasme, et les poètes bretons s’empressèrent de célébrer cette victoire par des pièces de poésie, dont quelques-unes font l’éloge de leurs auteurs. Non seulement la Noblesse bretonne montra, dans cette occasion, qu’elle n'avait point dégénéré de la valeur de ses ancêtres et de son zèle pour la défense de son pays, mais tous les citoyens, en général (3), prouvèrent qu'ils étaient prêts à sacrifier leur vie à l’intérêt de la patrie. On a conservé les noms de plusieurs de ceux qui s’y trouvèrent, et ils méritent d’être transmis à la postérité.

Les voici : M. le marquis de Cucé et M. le comte de Montaigu, morts de leurs blessures; le comte du Bois de la Motte, capitaine de vaisseau; MM. le baron de Pontual; Grou, père et fils; Beauvais, né à Rennes et procureur à Saint-Malo (il mourut de sa blessure le 6 octobre 1758); de Quelent [Quelen], exempt des gardes du roi; de la Blinaye, officier au régiment de la reine, dragons; de la Blinaye, sous-lieutenant au régiment des gardes-francaises; du Bois-Geslin, de la Baronnais, Baudran de Maupertuis, Bédé de la  Boëetardais [père et fils], de Bois-Hardi, le chevalier de Bois-Huë, de la Bretonnière (il fut blessé), de Caslan, de .../...

--------------

(1) Voir ci-dessous, comme contrôle de ce fait, la relation de Smolett.

(2) Le 12 septembre, les soldats français tués furent inhumés dans le cimetière de Saint-Cast, ainsi qu’il est mentionné sur le registre des sépultures. On célèbre encore à Saint-Cast, le 11 septembre, la victoire des Français, par une procession solennelle.

(3) Ogée, cédant aux idées de son époque, a fait ici une large part à la Noblesse; elle le méritait. Mais le peuple aussi avait des droits, et on le comprit très peu alors. Il faut, pour réparer cette injustice, rappeler que quatorze détachements de milice, recrutés dans la bourgeoisie et dans les campagnes, combattirent vaillamment à Saint-Cast.

------------

.../...  Châteaubriand, de Couessin, de Bart [Dibart], de la Ville-Tanet, Ferron du Chêne. le Gobien [de Robien], de la Goublais, de Langegu, de Langourla-Sanglois, de Sceaux, de Troussier, de la Ville-Esbrune, Duvantion [de Vautiou] (il fut tué), du Champ-Millet, Loquet du Château-d’Acy, Magon de la Ville-Huchet, Carlac de Saint-Père (il fut tué), de la Ville-Saint-Germain [de la Vigne-Saint-Germain], de la Vil léon, de la Ville-Valio [de la Villéon de la Ville Valio est un seul individu] fils, aujourd’hui chevalier de Saint-Louis, la Motte de Lesnagé, Nouail de la Ville-Gille, Saint-Pern du Lattai, de la Motte Villès-Comte, le chevalier de Prémorvan, de la Planche, des Landes-Daniel, bourgeois de Saint-Malo, de la Barre, du Rocher-Nodé, Saint-Pern-Ligouyer, Menard, du Rocher, du Bois-Bollan, Minet frères, Quêtier fils, de l’Aulne, ancien officier de corsaire, et Davy de Villée, procureur à Rennes (1). L’Assemblée des États de Bretagne, deux mois après, récompensa, par des pensions, la con duite de MM. de Caud et de Narbonne; il y eut trois autres volontaires pensionnés dont on ne se rappelle pas les noms (2). L’assemblée demanda des  lettres de noblesse pour M. Soyer de Vaucouleurs, aussi volontaire. Le roi accorda des pensions, la commission de capitaine, et la croix de Saint-Louis à MM. de Narbonne, Boiseauvoyer, des Tullais et de Caud, quoique ce dernier n’eût que trois ans de service dans les gardes du roi. Le chapitre de Saint-Malo fonda un service solennel, à perpétuité, pour le repos des âmes des officiers et soldats français tués à Saint-Cast : cette fondation est digne de remarque et fait honneur à ce corps ecclésiastique.

-----------
(A) Une liste des principaux volontaires fut dressée dans la séance des États de Bretagne du vendredi 2 février 1759. Sur cette liste, nous trouvons, outre les noms cités par notre auteur, ceux de MM. Scott de Martainville, de Kerguisec, de la Cornilière-Narhonne, père et fils, des Tullais-Tranchant, Fournier, Pean de Pontphilly, Delaunay-Danican, Sohier de Vaucouleurs, de Melesse, de Virmont, de la Choue-Vildé, de Langlais, de Kervers, de la Goublaye, Rioust-Villaudren, bourgeois de Matignon, de Kerisper, Kerdu de Boisgelin, de Lausmone, de Lanhuron-Bobet, de la Marre-Colas, de Chanterelle, officier marin de Saint-Malo, de Launay-Lecorgne et Hingant de Toullan. — Blanchard, médecin à Dinan, et qui n’est mentionné ni par Ogée, ni par les États, combattit vaillamment parmi les grenadiers de Boulonnais. On lui offrit une pension; il la refusa. M. de la Villethassetz, dans le récit qu'il a fait de la bataille de Saint-Cast (Annuaire dinan nais, 1836), rapporte aussi qu’un M. Hercouet, de Dinan, capitaine d’une compagnie de canonniers gardes-côtes, qui naguère avait fait, lors de la descente de Cancale, preuve d’une rare intrépidité, se battit admirablement à Saint-Cast. On lui offrit la croix de saint Louis, à condition qu’il quillerait son commerce de tapisserie. Sur son refus, on lui donna une pension de 300 livres.

(2) Le roi avait créé six pensions de 2001iv., pour six Bretons volontaires de Saint-Cast. Les États les décernèrent à MM. de la Planche, Scott de Martainville, du Rocher-Nodé, de Lavigne Saint-Germain, de la Cornilière-de-Narbonne et de Caud. Les milices n’eurent rien. Ce pendant, on demanda des lettres de   noblesse pour M. Sohiers-Vaucouleurs, noble-habitant de Saint-Malo. — Beau coup d’antres récompenses furent accordées en outre par la cour.

 

* Marteville et Varin (1843) :

page 736. Colonne 1 (736-b)


BATAILLE DE SAINT-CAST .


Le récit que fait notre auteur, de la bataille de Saint-Cast, est extrait en grande partie d’un écrit intitulé : "Récit d'un militaire", public en 1836 dans l’Annuaire dinannais, avec le récit naïf du curé de Saint-Cast. Le premier parle en homme qui n’a vu qu’un coin de l’action; le second, en homme qui a été plus préoccupé du pillage que faisaient les Anglais, que de toutes les opérations militaires. Sans vouloir restituer en son entier cette importante journée, il nous a semblé que le récit d’Ogée serait utilement corrigé, par quelques notes d’abord, puis par une courte narration, que nous avons esquissée, et complétée par ce qu'a écrit un des plus honorables historiens anglais, Smolett, continuateur de Hume. Nous avons, à cet effet, traduit avec soin la relation de cet auteur, et nous la publions ci-dessous. Ou nous nous abusons, ou nous donnerons ainsi an lecteur une idée beaucoup plus exacte de la journée de Saint-Cast. Voici notre résumé :

Le 3 septembre 1758, une flotte anglaise, forte de plus de 100 voiles, se montra entre Saint-Malo et le cap Fréhel; et, le 4 au matin, l’amiral Howe, qui la commandait, vint débarquer 8,000 hommes  environ sur la côte de Saint-Briac, sans qu’il fut possible de lui faire obstacle. Depuis la veille, le tocsin avait sonné dans tous les clochers, et, de proche en proche, le bruit de ce débarquement s'était répandu dans toute la Bretagne. Un courrier en avait aussi porté la nouvelle à M. le duc d’Aiguillon, pour lors à Brest. Celui-ci  donna ordre à toutes les troupes disséminées en Bretagne de se concentrer sur Lamballe; les garnisons de Belle-Île, Lorient, Port-Louis, et du comté nantais furent seules exceptées. 

En même temps, toutes les milices bretonnes furent convoquées et durent se concentrer autour des troupes régulières.

Arrivé à Lamballe, le commandant de la province s’occupa d’abord de couvrir Dinan et d’assurer sa libre communication avec Saint-Malo, ainsi qu’à organiser ses forces, en les disposant de façon à pouvoir marcher sur l’ennemi, dès qu’on connaîtrait au juste le parti qu’il aurait pris. Or, on sait, par ce qu’on vient do lire. que celui-ci n’en avait pris aucun. Le but de l’Angleterre était d'inquiéter nos rivages de la Manche, afin de nous forcer à retenir en France des troupes que, sans cette continuelle menace d’invasion, il eut été possible de porter en Allemagne, sur le théâtre de la guerre. Déjà les Anglais avaient détruit Cherbourg, brûlé Cancale, les magasins de Saint-Servan, etc. Le plan de l’armée débarquée n’en n'était donc pas un, à proprement parler; à moins qu’on ne juge au sérieux le projet qu’avait, dit-on, le général Bligh, de prendre Saint-Malo à revers, ignorant que, pour passer la Rance, une fois descendu à Saint-Briac, il lui fallait  prendre Dinan, c’est-à-dire pénétrer dans le pays a plus de cinq lieues. Aussi, semble t'il n’avoir eu  d’autre .../...

--------------
(*) Cette relation, écrite par le curé Maurice, ainsi que le prône qu’il fit à cette occasion, le carême suivant, était jadis jointe, en feuillets détachés, an Registre des sépultures de 1758. A force d’être lue par les voyageurs, elle tombait en ruines. En 18341, on l’a recollée et cartonnée.

--------------

page 737-a

.../... but que de faire une descente et de donner une alarme. Dans cette dernière supposition, comme dans la première, nous ne voyons rien de plus absurde que la conduite du général Bligh, s’amusant à brûler quelques bateaux pêcheurs, à passer l’Arguenon an dessous du Guildo, à déjeuner chez le curé de Saint-Cast, etc., laissant enfin au duc d’Aiguillon le temps de lui opposer une force imposante, puis se rembarquant ou trop tôt, ou trop tard.

L’armée anglaise, bien qu’elle eût poussé ses reconnaissances jusqu’à Pleurtuit, faisait un mouvement de concentration sur sa droite, et se disposait a se rembarquer a Saint-Cast, quand le duc d‘Aiguillon, décidé  de son cote a la séparer de Saint-Malo et de Dinan, et à l’acculer à la mer, déboucha par Ruca et Saint-Potan, ayant fait un circuit plus long qu’il ne l’eut fait s’il eut connu au juste l'intention finale de 1’ennemi; intention d’ailleurs peu supposable après une si formidable démonstration.

Il était environ neuf heures quand l’armée française déboucha sur Saint-Cast, à la hauteur des maisons de la Cour, de la Ville-Picher et de la Vieuxville . et put voir les Anglais qui commençaient à se rembarquer, ayant leurs embarcations protégées par les vaisseaux et par des régiments d’élite, rangés en bataille à l’abri  de quelques dunes de sable. Immédiatement l’on se disposa au combat. Chaque minute augmentait les chances que l'ennemi avait d’échapper à une vengeance; et, cependant, il y eut un temps d’arrêt, attribué à  une indécision du due d’Aiguillon. Un autre chef, M. d’Aubigny, eut alors, dit-on, l’honneur de prendre  l'initiative d’une résolution (*).

Les accidents du terrain ne permettant aucune action à la cavalerie, les dragons de Marboeuf mirent pied à terre et furent placés à la droite, que commandait M. de Balleroy, et qui dut déboucher par le village de la Garde, abrités d’abord par un chemin has, couvert de quelques haies, et conduisant à la pointe qui porte le nom de ce village; M. Dubousquet était major-général de cette cotonne. Au centre fut place M. de Broc,  avec M. de Fontetette pour major-général. Se prolongeant sur la gauche, le centre devait déboucher par Saint-Cast, d'où deux chemins conduisaient à la plage. — M. de Balleroy avait sous lui des détachements de Royal-Vaisseaux, Bourbon, Brissac, Bresse, Quercy, sept compagnies de grenadiers et les dragons de Marboeuf. M. de Broc avait la presque totalité des milices.

Quant à M. d'Aubigny, il se réserva la gauche, formée des détachements de Boulonnais, Brie, Fontenay-le-Comte, Marande, et le premier des volontaires. Se portant à l'extrême partie de la haie, jusqu’au village de les Rots, la gauche devait déboucher par ce village, la partie nord de la baie étant trop escarpée pour que l’ennemi tentât de s’échapper par ce point ou d’y faire une diversion. M. de Rosmond fut chargé de guider cette colonne par les chemins qu’il dut rapidement reconnaître.

La réserve, composée du second bataillon de Penthièvre et du troisième des volontaires, occupa la colline qui sépare le moulin de Hugue du moulin d’Anne, dans lequel s’établit le due d’Aiguillon [**). L'artillerie, enfin, .../...

----------------

Notes de bas de page 737-a

(*) Il faut que M. d’Aubigny ait eu réellement une grande part au succès de l’affaire de Saint-Cast, car il fut nommé lieutenant-général et reçut la permission d’enlever du champ de bataille quatre pièces de canon, qu’i1 plaça dans l’avenue de son château d’Aubigny. - A la Révolution, ces canons furent enlevés, et le château fut saccagé.

(**) On remarquera, dans tout ce que dit Ogée, que le due d’Aiguillon est pour ainsi dire annulé, et pourtant il était le chef de l’armée française. C’est qu’en effet, le commandant de la province fut accusé   par la Bretagne d’avoir jouée, à Saint-Cast, un triste rôle, même un rôle odieux. On a prétendu que, tandis que ses soldats se battaient, M. le duc d’Aiguillon, prudemment renfermé dans le moulin d’Anne, situé à la droite de son armée, reconnaissait l'hospitalité que lui donnait le meunier en courtisant sa femme.

Quelqu’un disant, en présence du procureur-général La Chalotais : " L’armée française s’est couverte de gloire. " —  "Oui, dit-il, et le petit duc de farine !".

Nous avons exposé, à l'article Rennes, les déplorables évènements qui naquirent en grande partie de cette  plaisanterie; nous n’y reviendrons pas. Seulement, l’impartiale histoire doit hésiter avant d’enregistrer comme vraie une accusation aussi grave, et qui n’a été accueillie, en Bretagne, que grâce à l’impopularité  dont M. le duc d’Aiguillon portait alors le poids. - En Italie, M. d’Aiguillon .../...

-----------------

page 737-b

.../... qui, retardée par les mauvais chemins, s’était arrêtée à son arrivée, vers dix heures, près du dernier de ces moulins, fit un mouvement en avant; et, M. de la Villepatour la formant dans les champs sableux qui dominent le petit chemin qui va de la Garde à les Rots, ouvrit son feu, qui, assez bien dirigé, coula plus tard trois embarcations chargées de soldats anglais.

Ces dispositions étant prises avec rapidité par M. d’Aubigny, soit de son initiative, soit d’accord avec son général en chef, la gauche se porta rapidement à son point d’attaque; l’armée entière, attendant pour s’ébranler que M. d’Aubigny fut en mesure de commencer le feu, et recevant avec calme les boulets d’ailleurs mal dirigées que la flotte anglaise faisait pleuvoir sur elle (*)

Cependant la gauche, ayant atteint le village de les Rots, commença à déboucher. Il lui fallait, pour se former sur la plage, sortir d’un petit chemin qui ne permettait pas à plus de trois hommes de se tenir de front. L'artillerie des vaisseaux, l’apercevant alors, ouvrit sur ce défilé un feu nourri. Malgré cela, cette aile continua son mouvement, et, prenant le pas de course, les soldats, à mesure qu’ils sortaient du petit bas-chemin, venaient se former derrière une dune produite par l'inégalité du terrain, mais séparée encore de plus de 500 m de l’ennemi par une plage que balayaient les boulets. MM. d’Aubigny et la Tour-d’Auvergne enlevèrent leurs hommes qui hésitaient, et environ 400 soldats reprirent résolument leur course vers les dunes qui abritaient l’ennemi.

Ce fut le signal du combat. Le centre d’abord, puis la droite se précipitèrent sur les lignes anglaises. Celles-ci tinrent un moment, mais, écrasées par le nombre, ces troupes, qui comptaient des homme d’élite, demandèrent merci. et l’obtinrent. L’affaire ne dura pas une heure (**).

Après cette esquisse de la bataille, telle qu’elle nous apparaît à nous autres Bretons, venons an récit de l’anglais Smolett.

Relation de Smolett.

" Le 10 septembre, le général Bligh entra dans le village .../...

-----------

(suite des notes de bas de page 737a)

.../... s’était assez bravement battu pour établir sa réputation d’homme de cœur. D’ailleurs, s’exposer personnellement sans nécessité est, pour un général en chef, une faute et non un mérite, tout autant que reculer dans un moment où l'armée a besoin d’être enlevée serait une lâcheté. Le moulin d’Anne était un point vraiment unique : il dominait la grève, et permettait an général d’embrasser1’ensemble de l’action.

D’ailleurs, les États, qui n’aimaient pas le duc d’Aiguillon, ayant voté une médaille commémorative, y enregistrèrent honorablement le nom d'un chef qu’ils pouvaient déshonorer. Cette médaille, en effet, portait d’un côté la tête du roi avec la légende : "Ludovico XV optimo principi; et, à l'exergue, Comitia Armorica; au revers, Mars et la Bretagne attachaient a un palmier des boucliers portant, l'un : "Virtus DUCIS et militum; » l’autre : "Virtus nobilitatis et populi armorici". » Le tout ayant pour légende : "ANGLlS AB AIGUILONIO Duce PROFLIGATIS;" et pour exergue : "Ad Sanctum Castum, MDCCLVIlI."

Quoi qu’il en soit, les deux généraux qui s’étaient trouvés en présence à Saint-Cast finirent misérablement. Bligh fut chassé de l'armée anglaise; et, en 1775, d’Aiguillon fut exilé, et mourut dans la disgrâce du prince.

(*) Le curé Maurice dit, a cet égard : "Je me figurais que tous nos pauvres bataillons allaient être écrasés; mais non; la Providence ne permit pas que les coups portassent." — "Deux des bombes que lancèrent les  vaisseaux, dit M. Habasque (t. Ill, p. 175), vinrent tomber dans l'église de Saint-Cast, mais elles n'éclatèrent pas. Nous avons vu l’une de ces bombes chez un nommé Leclerc, boucher, qui a été maire en 1793. L’antre est encore dans la cour du presbytère."

(**) On a dit et répété, depuis quelques années, qu’une compagnie de Bas-Bretons, des environs de Tréguier et de Saint-Pol-de-Léon, marchant pour combattre un détachement de montagnards gallois qui s'avançaient en chantant un air national, s’arrêta stupéfaite en reconnaissant un air de leur propre pays. Électrisés par ce doux souvenir, les Bas-Bretons répètent le refrain national; à leur tour, les Gallois s’arrêtent; en vain les officiers commandent le feu, les deux troupes se tendent les bras et s‘unissent. Ce touchant récit, entouré de poétiques détails, est tout à fait inconnu des trois narrateurs primitifs de la bataille d Saint-Cast; c’est une grave raison déjà de douter de sa véracité. Mais, quand on étudie avec soin

---------------

page 738-a

.../... de Matignon. Là, après quelques escarmouches, les avant-gardes françaises se montrèrent en hon ordre, au nombre d’environ deux bataillons. On leur tira quelques coups de pièces de campagne et l’on fit avancer les grenadiers. Aussitôt, l'ennemi disparut. Le général, continuant donc sa route, traversa le village et vint camper en rase campagne, à environ trois milles de la baie de Saint-Cast, qu’il fit reconnaître, afin de s'assurer si elle était propre à un ré-embarquement. En effet, on avait appris, d’une façon irrécusable, que le duc  d’Aiguill0n s’était avancé de Brest jusqu’à Lamballe, c’est-à-dire a six milles du camp anglais, à la tête de douze bataillons de troupes régulières, six escadrons et deux régiments de milieu, conduisant huit mortiers et dix pièces de canon.

"La baie de Saint-Cast était protégée par un retranchement élevé pour s’opp0ser à un débarquement. Au dehors de ce retranchement, la baie est sillonnée en long par de petites collines de sable, qui eussent pu mettre l’ennemi à couvert et l’aider à nuire à nos troupes pendant le réembarquemcnt. On proposa donc au général de choisir, pour cette opération, une baie ouverte qui était à sa gauche, entre Saint-Cast et le Guildo. Cet avis fut repoussé, et la suite ne montre que trop quelle aveugle présomption avait dicté cette décision. Si les troupes eussent décampé sans bruit, pendant la nuit, il est plus que probable qu’elles fussent arrivées à cette baie avant que l'ennemi eût en  connaissance de leur mouvement; et, dans ce cas, toute l’armée, forte d’environ 6,000 hommes, eût pu se rembarquer sans la moindre précipitation. Au lieu d’agir avec cette prudence, on fit battre les tambours à deux heures du matin, comme si l’on eût voulu prévenir les  Français qu’on se mettait en marche : aussi, entendit-on bientôt le même signal répété de leur côté. Les troupes partirent vers trois heures, mais les haltes et les temps d'arrêt furent si fréquents que, quoique la distance à parcourir ne fut pas de plus de trois milles, il était neuf
 heures passées quand elles arrivèrent à la baie de Saint-Cast. 

"Alors seulement on commença le réembarquement; et il eut encore été terminé heureusement si les transports eussent été amenés jusqu'au  rivage, et s’ils eussent pris les hommes pour les conduire rapidement, et sans choix. à bord des vaisseaux de la flotte. Au lieu de cela,
beaucoup de bâtiments coururent des bordées loin de la plage, et les embarcations s’amusèrent à conduire chaque homme à bord des transports dont ils faisaient partie, disposition minutieuse qui fit gaspiller un temps précieux.

"Les plus petits navires et les bombardières avaient été rapprochés du rivage autant que possible, pour protéger l'embarquement, et un  grand nombre d’officiers marine se tenaient sur la baie pour diriger les équipages des embarcations et maintenir le bon ordre dans le service. Il faut le reconnaître cependant, malgré leur zèle et leur intervention . quelques canots furent employés à toute autre chose qu’à  porter à bord nos malheureux soldats. Et pourtant, si tous les cutters et les petits bâtiments eussent été appliqués à ce service, le désastre  de cette journée eut été probablement évité.

"Les troupes anglaises avaient escarmouché pendant toute leur marche, mais aucun corps ennemi un peu considérable ne s’était encore montre quand l’embarquement commença. Ce fut alors seulement que les Français s’établirent sur une éminence couronnée par un 
moulin à vent, et découvrirent une batterie de dix pièces de canon et de huit mortiers. Cette batterie ouvrit de suite un feu meurtrier sur les troupes de la baie et sur les embarcations qui les transportaient à bord des vaisseaux.

"Alors aussi les troupes françaises commencèrent à descendre de la colline qu’elles avaient occupée. Protegées, en partie. par une route creuse qui s’étendait à leur gauche, leur dessein était de gagner un bois où elles .../...

----------

suite des notes de la page 737b.

.../... les phases de cette action, il est plus difficile encore d’admettre cet épisode, encore qu’un homme éminent ait publié le texte même de l’air national devant lequel des armes ennemies s’abaissèrent. L'action de Saint-Cast ne fut point une bataille rangée; les détachements n’en
vinrent pas . comme à Fontenoy, à se joindre pour ainsi dire avant de tirer. L’armée française fit une irruption soudaine sur les Anglais, et ceux-ci, enfoncés en un tour de main, purent tout an plus crier grâce ! Que des Bas-Bretons aient, en ce moment, reconnu des Gallois
 et les aient spécialement épargnés, cela se conçoit; mais l’air national et les officiers qui en vain ordonnent de faire feu, sont de la poésie, et non de l'histoire.

--------------

suite de la pager 738a

.../... eussent pu se former et se développer parallèlement au front de l’armée anglaise, qu’elles eussent attaquée en s’abritant derrière les monticules de sable. Le feu des mortiers et des canons qui partait des  vaisseaux anglais les maltraita beaucoup pendant qu’elles exécutaient ce mouvement. Le ravage causé par cette artillerie les mit dans un grand désordre, et, pendant un moment, leur marche devint hésitante ou  comme suspendue. Enfin, l'ennemi prit le parti de converser sur sa gauche, en prolongeant une colline. et  de gagner un chemin creux, d’où, tout-à-coup, il déboucha et s’élança contre nous.

"A ce moment, la plus grande partie des troupes anglaises étaient embarquées. Cependant, l'arrière-garde, formée de tout le corps des grenadiers et du demi-régiment des gardes, en tout 1500 hommes, commandés par le major-général Dury, était encore sur le rivage. Cet officier, voyant arriver les Français, ordonna à  ses hommes de se former en grandes divisions, de se jeter en dehors des lignes qui les protégeaient, et de  charger l’ennemi avant qu’il put se reformer dans la plaine. Si le major Dury avait pris ce parti dès qu’il lui avait été conseillé, c’est-à-dire avant que les Français ne fussent sortis du chemin creux où il s’étaient jetés, peut-être eut-il réussi à les déconcerter et à les jeter dans 1’embarraras. Mais, pendant qu’on hésitait,  l'ennemi avait eu le temps de se développer sur un front tellement formidable, qu’il ne fallait plus songer à tenir tête à une force si  supérieure en nombre. Au lieu donc de se mettre en ligne contre cette force inégale, la seule chose qu’il y eût à faire était de battre en retraite tout le long de la baie, en se dirigeant vers un rocher situé à la gauche de l'armée anglaise. Dans ce mouvement, la droite se fût trouvée protégée  par les retranchements, en même temps que l’ennemi n’eût pu se jeter sur le rivage à la suite du corps en retraite, sans s’exposer en plein au feu des vaisseaux que, probablement, il n’eût pu soutenir. On ouvrit   également ce nouvel avis à M. Dury, mais il semblait sous l'impression d’une incroyable infatuation de son  mérite militaire, et il ne s’y rangea pas.

"Les Anglais, jetés en ligne dans un terrain accidenté engageront l’action; mais, sur tout leur front, le feu  était irrégulier, de leur droite à leur gauche, et l’ennemi riposta. Mais, le courage habituel et la résolution de  ces braves gens semblèrent aussi leur faire défaut en ce moment; ils se voyaient menacés d’être enveloppés et taillés en pièces: de toutes parts, les officiers tombaient, et la retraite était coupée sans ressources. Alors, leur courage les abandonna; une panique les saisit; ils faiblirent, plièrent; et l’engagement n’avait pas duré  cinq minutes quand ils s’enfuirent dans le plus incroyable désordre, serrés de près par les ennemis qui, les  voyant lâcher pied, se précipitèrent sur eux à la baïonnette, et en firent un horrible carnage. Le général  Dury, dangereusement blessé, se jeta à la mer, où il périt, ainsi que bon nombre d’officiers et de soldats.  Quelques-uns gagnèrent à la nage les embarcations et les petits bâtiments, qui avaient ordre de leur prodiguer les secours; mais le plus grand nombre furent, ou massacrés sur la baie, ou noyés. Cependant, un petit corps, au lieu de se jeter à la mer, gagna le rocher qui était à la gauche, et y tint bon jusqu’à ce qu’il eût épuisé ses munitions. Alors, il se rendit à discrétion.

"Le feu des batteries que l’ennemi avait élevées sur la colline, couronnée par un moulin à vent. fut surtout  meurtrier. Mais, il faut le dire, le massacre aurait été moins grand si les soldats français n’eussent, pas été exaspérés par le tir de nos frégates, qui continua même après la complète déroute des Anglais. Aussi, à peine le commodore eut-il hissé le signal de cesser le feu, que les Français, donnant un noble exemple  de modération et d’humanité, accordèrent immédiatement quartier aux vaincus.

" Environ mille de nos meilleurs soldais périrent ou furent faits prisonniers dans cette affaire; mais, cet  avantage fut chèrement payé par les troupes françaises, que les boulets lancés par les frégates maltraitèrent  cruellement.

" La clémence de ceux-ci est d’autant plus remarquable que, durant leur expédition à terre, les troupes  anglaises s’étaient honteusement souillées par le maraudage, le pil1age,l’iucondie, et cent autres excès...

"Le succès de l’entreprise contre Cherbourg avait causé au peuple anglais une joie vraiment puérile, et le  gouvernement se prêta à cette exaltation pétulante, en exposant vingt-une pièces de canon françaises dans Hyde-Parck, d’où elles furent traînées triomphalement à la Tour de Londres, aux acclamations de la populace.

"La nouvelle de la déroute de Saint-Cast précipita les esprits, du comble de l’orgueil et de l'infatuation, .../...

page 739a

.../... dans un abîme d’humilité et d'abattement, en même temps qu'elle éleva, en sens contraire, les esprits français....."

(Fin du récit de Smolett).


En résumé, la bataille de Saint-Cast ne fut à vrai dire qu’une rencontre, dans laquelle la stupidité de Bligh, le cruel dévastateur de Cherbourg, livra 2 à 3,000 hommes à une armée de 8,000. Mais, elle eut le résultat immense de couper court aux descentes que les Anglais avaient entreprises sur nos côtes, pour faire diversion à la guerre d’Allemagne et forcer la France à protéger son littoral par des corps d’armée qui étaient ainsi enlevés du théâtre de la guerre. En France, on exalta cette bataille, pour ranimer le moral de tous les habitants de la côte; en Bretagne, on la célébra comme, en effet, elle devait l'être, parce qu’elle donnait une nouvelle preuve du patriotisme de notre province; en Angleterre, on comprit par cette déroute qu’il fallait renoncer à un système qui avait perdu toute sa force en perdant son prestige".