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Chapitre III

L'Armorique. Les Bouches du Rhin.

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Argument :

Selon Zosime, Maxime s'est dirigé vers les Bouches du Rhin;

Selon Geoffroy de Monmouth, Maxime s'est dirigé d'abord vers le royaume des Armoricains.

(voir carte de synthèse et notes de renvois en bas de page)

L'Armorique

            Une tradition de la culture populaire établie probablement de bonne foi.

            Dans l'esprit de très nombreuses personnes, et notoirement en (P)Bretagne, il y a identité de désignation entre les noms Bretagne et Armorique. Cette identité est très souvent confirmée par des ouvrages de vulgarisation, dont il faut dire dès à présent que nombre d'entre eux ne sont que pur folklorisme, qui ont la prétention d'éclairer le public sur la Culture celtique, ou la Culture bretonne, par la formule  désormais classique, définitive, et sans appel :

' La Bretagne s'appelait autrefois l'Armorique.'

            Cette tradition est tellement bien établie qu'on la retrouve dans tous les aspects de la vie moderne bretonne, que ce soit du point de vue administratif, privé, commercial, industriel, associatif, culturel, politique, et même religieux. Ainsi, quand un organisme, une entreprise, ou une association quel qu'il soit désire s'identifier en portant l'accent sur son origine ou sa vocation bretonne, ou simplement sur son implantation en (P)Bretagne, il utilise alors immanquablement l'une ou l'autre des deux appellations, en sachant qu'il peut bien entendu utiliser également les dérivés de ces noms comme 'breton(s)', 'bretonne(s)', 'de Bretagne', 'Armoricain(s)', 'Armoricaine(s)', 'd'Armorique', etc., partant du principe acquis et indiscuté que ces qualificatifs désignent de toute façon la même chose. (1)

            Le phénomène a été récemment amplifié par les décisions du Conseil Général des ci-devant Côtes-du-Nord à la fois de modifier le nom du département en celui de Côtes-d'Armor, et de baptiser l'aéroport du chef-lieu de département en Saint Brieuc/ Armor, cédant en cela aux biniouseries d'un lobby local touristico-hôtelier, ainsi qu'à  un certain snobisme pseudo-intellectuel pour faire paraît-il plus couleur locale, c'est-à-dire Breton plus vrai que nature. (2)

            De toute façon, cette identité de désignation entre Bretagne et Armorique était déjà en quelque sorte intronisée depuis longtemps par le dictionnaire Larousse, considéré comme on le sait au niveau populaire comme une sorte de dictionnaire officiel de la langue française. Il suffit de se reporter à l'article Bretagne, pour lire la définition donnée ci-dessus, d'une part :

'La Bretagne s'appelait autrefois l'Armorique'

et à l'article Armorique pour lire :

'Partie de la Gaule formant aujourd'hui la Bretagne. (Hab: Armoricains)'.

On pourrait difficilement être plus clair. (3)

            Mais cette identification entre Bretagne et Armorique, il faut le dire avec honnêteté, n'est pas l'exclusivité des francophones ni des marchands de folklore fabriqué sur mesure à l'intention d'un public avide de dépaysement au pays des sabots de bois, des binious et chapeaux ronds, voir d'exotisme dans le Far West armoricain. De nombreux intellectuels bretons, d'expression bretonne comme d'expression française y ont aussi contribué, victimes eux-mêmes de la tradition ambiante. (4)

            A preuve aussi, curieusement, les premiers vers du BRO GOZ MA ZADOU, hymne national breton : (5)

Ni Breiziz a galon,         Nous Bretons de cœur,

Karomp hon gwir Vro !       Aimons notre vraie Patrie;

Brudet eo an Arvor       L'Armor est renommée

Dre ar bed tro-dro ...        De part le Monde ...

            L'Abbé Poisson, qui a fait oeuvre d'historien a, dans son temps, été le chantre de cette idée, qu'il ait été publié en langue française ou en langue nationale :

            "Bodet e oant holl en eur C'hevredad (confédération). Er c'hévredad-se e oa an Namneted, o chom e bro Naoned; ar Rêdoned, o chom e Kondata (Roazon) hag e traonienn ar Wilen; ar Guriosolited, tud Korseul; an Osismianed pe Osismii, gant Keraez de gêrbenn; ha Gwenediz, a oa Gwened kêrbenn o rannvro". (6)

            qu'il est aisé de traduire en :

            "Ils (les Armoricains) étaient réunis en une confédération. Dans cette confédération se trouvaient les Namnètes, du Pays de Nantes, les Redones, de Condate (Rennes) et la vallée de la Vilaine; les Curiosolites, gens de Corseul; les Osismiens où Osismi, ayant Carhaix pour capitale; et les Vénètes, dont Vannes était la capitale du Pays."

            Il semble que sa source d'inspiration fut Alain Raison du Cleuziou. Ceci explique sans doute cela. (7)

            Le monde religieux, lui non plus, n'est pas en reste, puisque l'identification de la Bretagne et de l'Armorique figure dans la quasi totalité des vies de saints Bretons venus en Armorique pour évangéliser leurs frères païens, aussi bien que dans de nombreux cantiques bretons dédiés à la Vierge, à Sainte Anne, à Saint Yves, et à bien d'autres personnages du panthéon chrétien. La rime donne invariablement :

" Toi que nous implorons ...

... et bénis tes Bretons". (8)

            Le mouvement druidique a curieusement contribué à la vulgarisation de l'identité entre Armorique et Bretagne. Il y a peut-être lieu de voir là des séquelles du mouvement des celtomanes de la fin du XIXè siècle, époque friande s'il en fut des recherches sur le celtisme partout en Europe. (9)

            Les intellectuels, hormis les religieux ou mystiques des différentes confessions ou philosophies ci-dessus, parmi lesquels on doit citer les historiens, les chroniqueurs, les écrivains et autres chercheurs, ont également une large part de responsabilité dans l'entretien et la propagation de cette identité entre Bretagne et Armorique au niveau du public. (10)

            Les auteurs britanniques ont quant à eux l'excuse ou l'avantage d'être Britanniques, et donc de n'être pas directement concernés par cette recherche.

            Parmi les auteurs qui semblent cependant avoir réussi à échapper à cette tentation on peut citer entre autres : Léon Fleuriot, Christian-J. Guyonvarc'h, Robert Soulignac, et quelques autres. (11)

            En vérité, nous avons tous été plus ou moins conditionnés par la tradition ambiante, établie depuis de nombreuses décennies, et transmise sans véritable remise en cause ni vérification de génération en génération, par des gens au demeurant fort respectables comme Auguste Brizeux, le Chevalier de Fréminville, Ernest Renan, Théodore-Hersart de La Villemarqué, Arthur de La Borderie, l'Abbé Poisson, Pierre Barbier, Joseph Chardronnet, etc, et nous y revenons malgré nous, presque comme un réflexe conditionné.

            Finalement, cette situation avait déjà été parfaitement résumée par Aurélien de Courson en ces termes d'une lucidité qui peut surprendre compte tenu de son caractère qui reste toujours d'actualité malgré le temps qui nous sépare :

            "Cette déplorable confusion des mots Bretagne et Armorique est une source d'erreurs sans cesse renouvelée." (12)

 

 

Une tradition empoisonnée par la politique.

            On ne peut terminer cet exposé sans soulever un aspect bien plus subtil et bien plus pernicieux qu'une simple confusion sémantique, à savoir une sorte de moyen subversif utilisé en politique par la propagande pro-jacobine en Bretagne.

            En effet, et cela ne peut même plus être contesté par personne tant les preuves sont patentes, l'attitude de l'État Français, qu'il ait été monarchiste, impérial, ou républicain, a de tous temps été impérialiste à l'égard de la Petite Bretagne qu'il n'a jamais cessé de nier aussi bien en tant que pays, que peuple, et encore plus que nation. L'État Français, c'est bien connu, refuse d'admettre pour lui-même ce qu'il entend imposer aux autres, à savoir l'existence en son sein des minorités ethniques nationales (13).

            En conséquence de quoi, lorsqu'il s'est trouvé des gens pour revendiquer leur nationalité bretonne, l'État Français n'a eu de cesse d'affirmer que la Bretagne s'appelait autrefois l'Armorique, que les Armoricains étaient des Gaulois, que les Gaulois étaient les ancêtres des Français, et que par conséquent les Bretons étaient des Français comme les autres, acceptant tout au plus que leur 'imaginaire' originalité ethnique n'était rien d'autre qu'un vieux reste de barbarie, et leur langue qu'un vague débris d'un idiome dénaturé de gaulois, ou encore une vomissure de dialecte ou de patois de français, le tout sur le thème péjoratif et drapé d'un magistral mépris (14).

            Donc, là où certains utilisaient de préférence la nuance Bretagne, la France répondait par la nuance Armorique, ce qui a eu pour effet de renforcer encore d'avantage dans les manuels scolaires l'identité apparente des deux appellations.

            Du reste, la modification récente du nom du département des Côtes du Nord en celui de Côtes d'Armor n'en n'est que le plus récent avatar, lequel n'a pas manqué de permettre à certains esprits d'avant garde de composer aussitôt un nouvel ethnonyme, que certains peuvent trouver beau, de Costarmoricains, ou Cost-Armoricains (15). Mais cela, rappelons le, n'est que de la basse politique, et ne vaudrait même la peine pas qu'on en parlât plus longuement s'il ne s'agissait, faut-il le préciser à nouveau, de l'une des constantes qui a conduit l'État français à être reconnu coupable de génocide culturel envers les Bretons. (16)

            Là n'est pas le plus surprenant de l'histoire. Car il faut bien savoir qu'il existe aussi, en Petite Bretagne, des personnes affirmées du milieu politico-culturel breton qui n'acceptent pour rien au monde que l'on puisse discuter où mettre en cause la dualité Bretagne = Armorique, attitude justement provoquée par réaction à celle de la propagande jacobine décrite ci-dessus.

            Voici la logique du raisonnement : partant du principe que l'État Français dit que la Bretagne s'appelait autrefois l'Armorique, y compris le comté de Nantes, ci-devant dénommé Département de Loire-Inférieure et rebaptisé aujourd'hui Département de Loire-Atlantique, toute amputation à l'une (l'Armorique) est donc considérée comme une amputation à l'autre (la Bretagne). Or, justement, depuis l'Acte d'Union de 1532 (17), la France, d'abord monarchique, puis impériale, puis républicaine, a toujours eu pour but de dissocier le territoire de Nantes du reste de la Bretagne, et ceci pour des questions évidentes d'intérêts politiques, économiques et commerciaux. Nantes est en effet depuis longtemps une clef économique importante, donc une place de rapport financier, autrement dit une place juteuse. Cette attitude est donc considérée par les militants bretons comme une agression et une atteinte flagrante et inadmissible au territoire et à l'identité de la Bretagne historique. Ils agissent en la matière exactement comme le fait l'État Français lui-même à propos de sa propre conception d'atteinte à son intégrité territoriale, et ainsi ce qui est légitime au regard de l'État Français doit être regardé comme également légitime au regard de la Bretagne (18). C'est la raison pour laquelle, par extrapolation, ces militants n'acceptent pas l'idée que l'Armorique ne puisse désigner autre chose que la Bretagne, par crainte justement que l'État jacobin y trouve des arguments et le malin plaisir de persévérer dans son action impérialiste traditionnelle de séparer la Pays de Nantes du reste de la Bretagne. (19)

            Comme on le voit dans ce bref exposé, il s'agit bien là d'un débat de pure politique politicienne actuelle qui n'alimente en rien ni l'objectivité ni la sérénité du travail de recherche historique, bien au contraire.

            Mais il faut que le lecteur soit averti de tout !

 

Les étymologies proposées pour le nom Armorique.

        Quelques soient les étymologies proposées, celles-ci font toutes référence à l'interprétation d'un passage de Jules César qui donne la liste des peuples gaulois venus au secours de Vercingétorix assiégé dans Alésia, et parmi lesquels se trouvent un certain nombre :

 "... qui bordent l'Océan, et qui se qualifient armoricains..." (20).

            Parmi ces peuples se trouvent trois peuples gaulois dont les territoires sont inclus dans la (P)Bretagne actuelle, à savoir : les Osismi, les Curiosolitae, et les Riedones.

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            L'étymologie qui reçoit de loin le plus grand nombre de suffrages est sans conteste celle qui désigne l'Armorique comme le pays de la Mer, le pays qui est près de la Mer, le pays qui est devant la Mer (21). Ici le mot Mer est identique à Océan. Ce nom proviendrait du gaulois :

- are- (aphérèse de pare-) : qui est devant, auprès de,

- mori- : mer, océan,

- ica : suffixe accusatif ?!

            La version parallèle en langue bretonne donne : 

"Arvorig", da lavarout eo : ar vro a-hed ar mor. (Ar ger keltiek " are" a dalveze kement ha " tost da, dirak".         

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            Une autre étymologie, moins répandue, cherche à expliquer le nom Armorique par le petit pays près de la Grande Mer (Grand Océan), qui serait la désignation de la Petite Bretagne face l'immensité de l'Océan. L'explication se ferait alors par :

Ar Mor = La Mer, + suffixe diminutif -ic, désignant en breton ce qui est petit.

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            Enfin, il a également été tenté une explication à partir du nom du Morbihan, proposé en Petite Mer < Mor-ig, sous le prétexte que les Vénètes commandaient à la "confédération armoricaine", dont le golfe du Morbihan aurait été le centre. (22)

 

 

L'inadaptation des interprétations traditionnelles.

            Cette identification de la Bretagne à l'Armorique pose de sérieux problèmes aux historiens car elle ne correspond pas du tout aux données des textes anciens, pas plus à ceux de l'Antiquité qu'à ceux du Bas-Empire romain, ni même à ceux du Haut moyen age. (23)

            La toute première référence est celle de Jules César, qui dit explicitement que les peuples qui se qualifient (eux mêmes) armoricains sont : 

        les Coriosolites, les Riedones, les Ambibarii, les Caletes, les Osismi, les Lémovices, les Unelles.

            Cette liste provoque automatiquement, pour qui est honnête, l'observation que Jules César ne cite ni les Vénètes, ni les Namnetes, qui sont pourtant partie intégrante de la (P)Bretagne actuelle. Louis PAPE résume à lui tout seul la position de la majorité des historiens de Bretagne :

            " Cette liste a suscité bien des commentaires; l'absence des Veneti peut s'expliquer par le désir de César de ne pas mentionner un peuple qu'il prétendait rayé de la carte; celle des Namnetes est plus curieuse mais il ne faut pas attacher une trop grande importance à une telle énumération dont l'ordre géographique est incohérent." (24)

            Il s'agit donc d'une incompréhension évidente et de bonne foi, mais à laquelle on répond par une esquive, ce qui n'est malheureusement pas une réponse et qui de toute façon ne résout pas la question.

            L'autre observation majeure à propos de cette liste est que si les deux peuples de la côte sud de notre (P)Bretagne ne sont pas nommés, César donne par contre ceux des Unelles du Cotentin, des Lexovii du pays de Lisieux (confondus avec les Lémovices du Limousin) et des Calètes du Pays de Caux, ce qui a pour effet immédiat de déplacer la limite de l'Armorique bien au delà de l'embouchure de la Seine, c'est-à-dire sur la Bresle, qui deviendra plus tard la limite entre les provinces romaines de Gaule celtique (ou Lyonnaise), et de Belgique, entre les Calètes et les Ambiani.           

            Les chercheurs sont assez discrets sur le cas des Unelles. Cela tient au fait que ce peuple a été plus tard, comme tous les autres peuples de la région, placé sous la responsabilité du Dux Tractus Armoricani, disposant de castella à Grannono / Cherbourg et Constantia / Coutances (25). Cette mention suffit apparemment à éviter un débat. Mais on pourrait aussi souligner le fait que le Cotentin, l'Avranchin, le Bessin, et le Craonnais, sont devenus bretons exactement en même temps et de la même façon que les comtés de Rennes et de Nantes et le pays de Retz, sous Erispoé, en 851, même si ces quatre contrées ont ensuite été reperdues définitivement en 933 (26). On peut donc se demander ce qu'en pensent ceux qui prétendent que la Bretagne n'a fait que remplir l'espace naturel de l'Armorique ! On comprend leur discrétion, puisqu'ils sont pris là en pleine contradiction. (27)

            Le cas des Calètes a fait l'objet de bien plus de controverses et de contestations. Ne comprenant pas que l'Armorique puisse aller au delà de l'embouchure de la Seine, certains chercheurs ont voulu argumenter sur une graphie Cadetes figurant dans certains manuscrits de la Guerre des Gaules, et ont cherché à placer ce peuple quelque part vers l'embouchure de la Loire. Cela aurait bien entendu pour conséquence de palier à l'absence des Namnetes, et subsidiairement celle des Vénètes de la liste des cités armoricaines de César. En attendant cette aubaine, il faut se contenter de dire que pour l'instant ces recherches n'ont jamais été confirmées ni par les écrits, ni par l'archéologie ! (28)

            Pour les Lémovices et les Ambibarii, j'invite le lecteur à se reporter à l'Encyclopédie des noms de personnes.

            L'identification Bretagne = Armorique est également mise à mal par la Notitia Dignitatum, document administratif officiel de la fin du IV et du début du Vè siècles (395-423). Ce document, bien connu des historiens, nomme les unités militaires disposées dans de grandes aires géographiques et dépendant de responsables supérieurs ayant le titre de Dux. Ainsi, notre secteur était de la compétence du Dux tractus Armoricani, dont l'autorité s'étendait de Rouen à Nantes.

 

 

Pour en finir avec ces fausses interprétations étymologiques.

            Dès lors que le sens du nom du pays Armorique se fait à partir d'une référence antique à l'Océan, il convient avant tout de bien définir ce que représentait le nom Océan pour les Anciens.

            Aussi loin dans le temps que nous permettent de remonter les textes ou les indices que nous avons en notre possession, vers le VIè siècle avant J.C, les anciens navigateurs et géographes avaient déjà parfaitement compris que la Terre était ronde. Ils avaient très bien compris aussi, en toute logique, qu'on devait pouvoir en faire le tour. Le seul point sur lequel ils se trompaient est qu'ils croyaient que la Terre était fixe et qu'elle constituait le centre de l'Univers, lequel tournait autour d'elle, bien qu'un astronome de l'île de Samos, Aristarque, avait déjà envisagé que c'était la Terre qui tournait autour du soleil. Quant au continent Terre, c'est-à-dire la surface dure sur laquelle vivent les Hommes, ils l'imaginaient comme une île, de forme plutôt oblongue, dont le grand axe s'étirait d'est en ouest, et qu'elle était entourée de toutes parts par une masse liquide.           

            Les Grecs semblent avoir hérité des Phéniciens, leurs prédécesseurs hors de la Méditerranée, d'une racine non identifiée dont ils ont tiré le nom d' Oceanos = Océanos pour désigner ce qu'ils croyaient d'abord être un grand fleuve extérieur entourant la terre, et dont ils ont fait un dieu. Ils en ont tiré la racine du nom donné à la Terre habitée :

Oikoumenh = Oecoumène. (29)

            Le géographe Strabon a qualifié le poète Homère de promoteur de la connaissance géographique, et lui a attribué la définition de base à laquelle, avant et après lui, se sont rattachés tous les géographes de l'Antiquité : (30)

' Je m'en vais voir les confins de la Terre féconde, et l'Océan, père des Dieux'

qu'il explique de la façon suivante :

            ' Il (Homère) veut dire par là que tous les confins de la Terre sont liés à l'Océan; et ces confins sont disposés en cercle. D'ailleurs, dans le chant sur la fabrication des armes, il place l'Océan en cercle autour du bouclier d'Achille, sur la bordure'. (31)

Cette définition, Strabon la reprend pour son propre compte à plusieurs endroits de sa Géographie :

            ' ... le monde habité baigné de tous côtés par l'océan, ce qui est la stricte vérité.' (32)

            ' Que le monde habité soit une île, c'est d'abord l'expérience sensible qui nous force à l'admettre. De tous côtés, en quelque direction qu'il ait été possible d'atteindre les confins de la Terre qui nous porte, l'on rencontre la mer, que précisément nous nommons Océan'. (33)

            '... le monde habité est complètement encerclé par l'Océan.' (34)

            '... les extrémités du monde habité, dans le sens de la longueur, sont mises à l'étroit par l'Océan qui les cerne de ses eaux'. (35)

            '... notre monde habité, entouré d'eau de tous côtés ...' (36)

(autre traduction, de Germaine Aujac : Notre monde habité est baigné par la mer de toutes parts et semblable à une île...)

            On retrouve la même définition chez Pacatus :

            "Car, puisque toutes choses reviennent à lui, puisque, à la manière de l'Océan qui enserre le globe et reçoit des terres les eaux qu'il leur fournit, tout ce qui du prince coule jusqu'aux citoyens retourne au prince ..." (37)

            Cette vision du monde est celle des peuples méditerranéens, qu'il s'agisse des Phéniciens, des Égyptiens, des Grecs, ou des Latins. Ils ont pour eux-mêmes le sentiments d'être des peuples riverains de la Mer Intérieure, par opposition à ceux qui, se trouvant de l'autre côté du Monde, aux confins de la Terre, sont riverains de la Mer Extérieure, c'est-à-dire riverains de l'Océan. Il s'agit là d'une vision globale, applicable sans exception, comme le prouvent nos références bibliographiques de l'Antiquité ancienne et récente.

 

 

Les grands secteurs géographiques riverains de l'Océan.

- L'Inde : Str. (I.1.8); (II.5.32); Pacatus (XII,II,2)

- Taprobane (Ceylan) : Str. (II.5.32) ;

- Sidoniens et Erembles (Arabie) : Str. (I.1.3); (I.2.22); (I.2.34);

- Afrique de l'Est, appelée Ethiopie : Str. (I.1.3); (I.1.6); (I.2.22); (I.2.24); (I.2.26); (I.2.27); (I.2.28); (I.2.32);

- Afrique de l'Ouest, appelée Lybie : Str. (I.1.3); (I.2.26); (II.5.33); (II.5.14);

- Maurusie (Maroc) : Str. (I.1.8);

- Péninsule ibérique, façade atlantique : Str. (I.1.8); (II.5.27); (III.1.1); (III.1.2); (III.1.3); César. (BG. I.1); (BC. I.38); Pline A (III.3; III.5)

- Aquitaine : de la Garonne aux Pyrénées. César (BG. I.1)

- Celtique, des Pyrénées jusqu'au Rhin : Str. (II.5.27); (IV.1.1), de la Garonne à la frontière de Belgique (c.à.d: Seine) César. (BG.I.1)

- Bretagne, ile dans l'océan celtique : Str.(IV.5); César(BG.IV.29) ; Tac. (Annales II.24, et XIV.39); Aur.Vic (Historia. 20.18)

- Belgique : Str. (IV.1.2)

- Germanie : Aur. Vict (Historia. 3.11);

 

 

Les mers qui font partie de l'océan.

- Manche : Panegyr.VII.5,2-4; Panegyr.IX.25,2; Panegyr.VII,3,3; Chronique de Fredegaire, 600 : more litores Ociani (Leduque, Ambianie, p 26); Gildas, De Excidio, XXV.

- Atlantique : Panegyr.VII,3,3;

- Mer d' Irlande : induite par Aur. Vict (Historia. 20.18);

- Mer du Nord : induite par Aur. Vict (Historia; 20.18); induite par le Rhin (voir les indications relatives à ce fleuve);

 

 

Les golfes tributaires de l'Océan.

- Mer caspienne (Mer d'Hyrcanie) Str. (II.5.18)

- Golfe persique 

- Golfe arabique 

- Méditerranée ; Pline A (III.3)

- Mer Erythréenne : Dion (Historia. LXVIII.28)

 

 

Les îles de l'Océan.

- Gadeira : Str. (II.5.30)

- Cassitérides : Str. (II.5.30)

- Bretagne : op.cit; Str. (II. 5.30); Str. (IV.5); César (BG.IV.29); Tac. (Annales. II.24, et XIV.39); Aurel. Victor (Historia. 20.18);

 

 

Les fleuves qui se jettent dans l'Océan.

- Belo / Arroyo de Alpariate; Str. (III.1.8)

- Baetis / Guadalquivir; Str. (III.1.5); (III.4.12). Pline A (III.9)

- Anas / Guadiana; Str. (III.1.6); (III.1.8); (III.4.12). Pline A (III.6); (III.7);

- Tagus / Rio Tejo, Rio Tajo, Tage; Str. (III.3.1); (III.4.12)

- Mundas / Rio Mondego; Str. (III.3.4)

- Vacua / Rio Vouga; Str. (III.3.4)

- Duro / Rio Douro; Str. (III. 3.2); (III.3.4); (III.4.12)

- Lethé, ou Limaeas, ou Belio / Rio Lima Str. (III.3.4)

- Benius, ou Menius / Rio Mino; Str. (III.3.4)

- Melsus / Rio Nalon; Str (III.4.20)

- Garumna - Garonna / Garonne. Str. (IV.1.14)

- Liger / Loire. Str. (IV.1.14); (IV.2.3); (IV.3.4)

- Sequanas / Seine. Str. (IV.1.14); (IV.2.3); (IV.3.4)

- Cantia / Canche. Chronique de Fontenelle, IXè siècle

- Rhenus / Rhin. Str. (IV.1.1); Tac. (Annales.II.6); Dion (Historia. LXI.30);

- Amisus / Ems. Tac. (Annales.II.8, et II.23)

 

 

Les Caps de l'Océan.

- Promontarium Sacrum / Cap San Vincente; Str. (III.1.9)

- Promontarium Barbarium / Cap Espichel (sud estuaire du Tage)

- Promontoire Nérium / Cabo Tourinan (25 km N Cap Finisterre); Str. (III.3.5)

 

 

Les peuples riverains de l'Océan.

- Sidoniens et Erembles (péninsule arabique). Str. (I.1.3); (I.2.22); (I.2.34)

- Turdétans (habitants de la Turdétanie, ou Bétique; dits aussi Turdules). Des Colonnes d'Hercule (Détroit de Gilbraltar), jusqu'à l'embouchure de l'Anas, et au Promontoire sacré. Str. (III.1.6); (III.2.4). Villes des Turdétans: Gadeira Str.(III.1.5 et 8); Ebura Str. (III.1.9).

- Lusitaniens. Du Tage jusqu'à la façade nord de la péninsule ibérique. Str. (III.3.3); César (BC.I.38); Ville : Olosipo Str.(III.3.1). La Lusitanie contient les Artabres, ou Arotrèbes Str. (III.3.5), et les Celtici Str.(III.3.5). La ville d'Oeassos est située au bord même de l'Océan. Str. (III.4.12).

- Ibères. Str. (III.1.1). Peuples qui jalonnent la côte nord de l'Ibérie, selon Str. (III.3.7): Callaïques, Astures, Cantabres, Vascons (aussi Str. III.4.1O). Un étier formé par l'Océan marque la frontière entre les Astures et les Cantabres. Str. (III.4.20). Pline A : Vardules et Cantabres (III.27)

- Aquitains. Str. (IV.1.1); (IV.2.1)

- Tarbelli. 'au bord du Golfe'; Str. (IV.2.1)

- Bituriges Vibisques (embouchure de la Garonne). Str. (IV.2.1)

- Santones (embouchure de la Garonne). Str. (IV.2.1); (IV.2.2)

- Pictones (embouchure sud de la Loire). Str. (IV.2.1); (IV.2.2)

- Namnètes (embouchure nord de la Loire). Str. (IV.2.1)

- Vénètes. Str. (IV.4.1); César (BG.II.34)

- Osismiens / Ostimniens. Str. (IV.4.1); César (BG.II.34); (BG.VII.75)

- Coriosolites. César. (BG.II.34); (BG.VII.75)

- Redons. César. (BG.II.34); (BG.VII.75)

- Unelles. César. (BG.II.34); (BG.VII.75)

- Esuvii. César. (BG.II.34)

- Lexoviens. Str. (IV.1.14); (IV.3.5); César (BG.III.17) induction par Aulerques Eburovices.

- Aulerques Eburovices. César (BG.II.34); (BG.III.17)

- Caletes. Str. (IV.1.14); (IV.3.4); César. (BG.VII.75)

- Bellovaques. Str. (IV.3.4)

- Suessiones. Str. (IV.3.4)

- Ambiani. Str. (IV.3.4); (IV.6.11). Chronique de Frédégaire, 600, à propos du Ponthieu. Charlemagne, 800 : diplôme de Saint-Riquier, en Ambianie : "litus oceani galtici ..."

- Morins. Str. (IV.3.4); induction par la Canche; Panégyrique IV (de Constance), chap XIV, 4 : "... du rivage de Gesoriacum sur l'Océan bouillonnant ..."

- Menapes. Embouchure du Rhin. Str. (IV.3.4); César (BG.VI.33)

- Sicambres (Sugambri). Voisins des Ménapes. Str.(IV.3.4)

- Bataves. Tac. (Annales.II.6)

- Frisons. Tac. (Annales. IV.72 et 73)

- Chauques. Tac. (Annales. II.24)

- Saxons. Ammien (Historia. XXVIII,V,1)

            Jules César cite également comme peuples riverains de l'Océan les Ambibarii, qui se qualifient d'Armoricains, mais non identifiés; voir plus loin ce qu'il y a lieu d'en penser. Il cite aussi les Lemovices, mais cette mention est une erreur de transcription, rectifiée par BG.VIII.51, concernant les Lexoviens et les Aulerques Eburovices. A propos des Andes, Jules César ne dit pas qu'ils sont riverains de l'Océan (BG.III.7), mais seulement '... que Publius Crassus, avec la VIIème Légion, était le plus près de l'Océan'. Il ne précise pas que les peuples alliés des Vénètes sont ou non riverains de l'Océan. (38)

 

 

Les Bouches du Rhin.

                Comparativement au long exposé précédent à propos de l'Armorique, la question des Bouches du Rhin se résout de façon beaucoup plus facile et plus directe.

            Reportons nous au texte de Zosime, Livre IV, Chapitre XXXV, paragraphe 4 :

            " Ne pouvant supporter que Théodose ait été jugé digne de l'empire alors que lui n'avait même pas eu la chance d' être promu à un commandement important, il attisa encore plus la haine des soldats contre l'empereur; ceux-ci se révoltèrent sans se faire prier, proclamèrent Maxime empereur et, après l'avoir orné de la pourpre et du diadème, ils traversèrent aussitôt l'Océan sur des navires et abordèrent aux bouches du Rhin..."

            Pour cela, beaucoup d'historiens, et non des moindres, ont pensé qu'il fallait chercher le point de débarquement de Maxime quelque part près de l'embouchure de ce fleuve. On peut citer par exemple Léon Fleuriot. (39)           

            Pour autant, ces chercheurs sont rendus perplexes par le fait que la rencontre entre les deux protagonistes se soit passée près de Lutecia / Paris. Pourquoi revenir sur Paris, et par quel chemin, alors qu'à l'embouchure du Rhin Maxime était bien plus proche de Trèves, sa cible.

            La réponse, en vérité et en simplicité, se trouve chez Strabon : (40)

            IV.3.3 : " Ces deux fleuves (le Rhin, et la Seine) coulent du sud au nord. En face de leurs embouchures se déploie la Bretagne, qui est assez rapprochée de celle du Rhin pour qu'on puisse apercevoir le Cantium, extrémité orientale de cette île, mais un peu plus distante de celle de la Seine. Le dieu César avait installé dans cette dernière son chantier naval quand il passa en Bretagne."

            IV.5.1 : " ... quand on part de la région du Rhin (pour se rendre en Ile de Bretagne), on ne s'embarque pas aux bouches même du fleuve, mais chez les Morins, qui sont voisins des Ménapiens, à Itium, la station dont César fit sa base navale quand il se prépara à passer sur l'île. Levant l'ancre de nuit, il toucha la côte opposée le lendemain à la quatrième heure après une traversée de 320 stades."

                       On peut comprendre ainsi pourquoi Zosime, historien grec comme Strabon, et utilisant lui aussi la langue grecque, a utilisé l'appellation Bouches du Rhin. Mais il apparaît parfaitement que dans son esprit, cette appellation ne désignait pas seulement l'embouchure même du Rhin, mais aussi une grande partie de la côte située entre l'embouchure du Rhin et celle de la Seine. En définitive, derrière cette appellation se trouve tout bonnement indiqué le rivage de l'ensemble de la Gaule belgique.

            Il est aisé d'en approfondir l'analyse. En effet, Strabon nous dit clairement que Itium / Boulogne-sur-Mer fait partie du littoral des Bouches du Rhin. Or ce port se trouve sur la côte ouest des Morini, sur la Manche, et non sur la Mer du Nord. Cela entraîne le fait que la côte ouest des Morini fait partie du littoral des Bouches du Rhin.

            Mais ce littoral des Morini ne s'arrête pas à Itium / Boulogne-sur-Mer, mais descend plus bas, jusqu'à l'embouchure de la Canche où, comme par hasard, on trouve Cantia-Vicus, point géopolitique important nommé plus tard par Nennius.

            En poussant la logique à son terme, on doit alors souligner le fait que la Belgique ne s'arrête pas à l'embouchure de la Canche. A l'époque de l'Empire romain, la province Belgique va jusqu'à la rive ouest de la Bresle, incluant les territoires des Ambiani et des Catuslogi. Et, en remontant encore plus dans le temps, il faut aussi rappeler qu'à l'époque de l'indépendance gauloise, la Belgique allait jusqu'à l'embouchure de la Seine, puisque les Calètes étaient également des Belges.

            Ainsi, Strabon et Zosime sont parfaitement cohérents entre eux. Quand ils désignent un point situé sur le littoral des Bouches du Rhin, ils désignent un point qui peut se trouver entre l'embouchure du Rhin et celle de la Seine.

 

 

Tableau récapitulatif des peuples riverains

de la Manche et des Bouches du Rhin.

Peuples riverains de la Manche Peuples du littoral belge Bouches du Rhin
     
Osismi    
Curiosolitae    
Riedones    
Abrincates    
Unelli    
Baiocasses    
Lexovii    
Eburocasses    
Caletes Caletes  
Catuslogi Catuslogi  
Ambiani Ambiani  
Morini Morini Morini
  Menapii Menapii

 

Conclusion

            Nos différentes analyses exposées ci-dessus nous permettent à ce stade de l'étude d'affirmer plusieurs points essentiels :

            - Les pays riverains de l'Océan sont tous ceux qui se trouvent en bordure de l'océan extérieur du monde habité de l'époque et connu du monde méditerranéen, depuis l'Inde jusqu'à la Scandinavie, en faisant le tour de l'Afrique et de l'Europe, et ne désignent en aucune façon exclusive ceux de la Petite Bretagne actuelle.

            - Les peuples qui se disent Armoricains ont comme point commun d'être en bordure de la Manche.

            - Le littoral des Bouches du Rhin et celui de l'Armorique se recouvrent sur le secteur du golfe d'Ambianie, de l'embouchure de la Bresle à celle de la Canche et au Cap Gris-Nez, c'est-à-dire sur le littoral de la Manche de la province Belgique.

 

Les cités armoricaines dans le concept gaulois : riveraines de la Manche.

Les Bouches du Rhin : rivage entre la Manche et l'embouchure du Rhin

Carte annexe de Genèse de la Bretagne armoricaine, par J.C Even.

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Extrait de Ordnance Survey : Britain in the Dark Ages

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