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Épilogue

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   Amnistie de Théodose.

   Ainsi que nous l'avons vu, il paraît évident que l'amnistie décrétée par Théodose a concerné également les soldats bretons de Maxime installés en Armorique.

   Au demeurant, il s'agissait malgré tout de troupes bien organisées et équipées, pour ne pas dire des troupes d'élite, et cela aurait été une erreur de la part de Théodose que de chercher un affrontement avec elles, d'une part parce que le territoire qu'elles occupaient n'était pas vital pour la défense de l'Occident, et que, d'autre part, l'Empire avait déjà assez de soucis comme cela pour ne pas s'éterniser davantage dans des guerres civiles qui auraient fait disparaître encore bien des soldats valides dans chaque camp et, enfin, que les soldats bretons installés là à la faveur d'une amnistie ne pouvaient que devenir favorables au nouvel empereur et lui constituer une force d'appoint éventuel pour le contrôle et le maintien de l'ordre dans cette partie ouest de la Gaule. Aussi, en 388, Théodose confirma-t-il, sous forme d'amnistie, les Bretons dans les territoires dont ils avaient été précédemment gratifiés par Maxime.

   L'organisation de ce nouveau territoire. (1)

   Il serait hasardeux, pour l'instant, d'aller trop loin dans cette investigation. Comme on le dit, à vouloir trop démontrer, on finit par ne rien démontrer du tout.

   On peut noter toutefois que la ville qui semble émerger à cette époque est Saint-Pol-de-Léon, qui figure sur les cartes sous le nom de Legio. Peut-être s'agit-il de l'une des places fortes des soldats de la XXème légion. On dit, en effet, qu'au moment où saint Pol y installe son évêché, en 530, elle s'appelle Castel Legio, avant de devenir Kastell-Paol. Mais, si l'on remplace le mot Kastell par celui de Caer, qui signifie à cette époque "ville fortifiée", on obtient Caer Legion, qui correspond exactement au nom breton de la ville de Dêva, Chester, à savoir Cair Legion. Sa situation maritime, face à l'Île de Bretagne, peut le laisser suggérer.

   D'autre part, il est curieux de constater que, si l'on tient compte des éléments essentiels du nom propre de cette légion, on peut constater ceci :

   - le nom de Léon n'est que la flexion du terme Légion; 

   - le nom de Cornouaille n'est que la reprise du nom du personnel de cette légion, à savoir les : Cornovii ;

   - le nom de Trégor peut être bâti sur une racine celtique* trig-, signifiant "victorieux", correspondant ainsi au latin Victrix, épithète de cette légion (bret. trec'h, "victoire").

   Quand on sait que les deux premiers sont liés au pays de Chester, que les deux seconds sont liés en Cornouaille britannique (Cornwall) et qu'enfin ils sont liés tous les trois en Armorique, on ne peut, en tout état de cause, qu'en être surpris, même si ceci demande à être étudié plus profondément. 

Secteur de Chester Legion Victrix Cornovii
Cornwall (Leones) Tricurius Cornovii
Armorique Leon Trégor Cornouaille

   L'autre cas intéressant est celui du Huelgoat, qui mérite bien qu'on s'y arrête. Huelgoat est peut-être plus riche encore qu'on le croit habituellement, en ce qui concerne l'histoire de la Bretagne armoricaine.

   Il y a tout d'abord ce fameux et énigmatique camp d'Artus, qui a fait l'objet de tant de recherches. Par sa grandeur, par sa capacité, par l'aspect de son mur d'enclos, ce 'camp' peut très bien correspondre à l'image que l'on se fait d'une ancienne 'capitale' gauloise. Je suis pour ma part convaincu qu'il s'agit de l'ancienne capitale des Ossismes.

   Cette appellation de camp d'Artus n'est peut-être pas aussi fantaisiste qu'on a bien voulu le dire. Car, comme l'a très bien démontré Guyonvarc'h, le nom d'Arthur, ou Artus, ne désigne pas nécessairement un nom de personne, mais plutôt une fonction officielle. Si l'on considère que l'Ours (Artos) était le symbole royal des Celtes, on peut sans risque dire que Arthur signifie "le roi". Et, lorsqu'on dit le 'camp d'Arthur', cela veut simplement dire le 'camp du roi'. Mais, compte tenu des proportions de ce camp, comme nous venons de le voir, il s'agit plutôt de la 'ville du roi', c'est-à-dire la 'capitale'.

   En soi, l'appellation 'roi Arthur' n'est qu'un pléonasme, puisque les deux mots qui le composent veulent dire exactement la même chose, l'un en latin, l'autre en celtique. Les exemples sont d'ailleurs fréquents dans le domaine celtique de l'empire romain (Menez-Bré, Mont-Bar...).

   Que le nom de la fonction ait pu être porté par des personnes, cela ne crée aucune opposition à notre analyse. Après tout, il n'est pas rare de trouver des noms de famille en Le Roy, dans notre pays qui n'est plus un royaume, ou en Limpalaer, alors que nous ne sommes pas un empire. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler que peu de Le Marrec savent que leur nom signifie "chevalier". Ce n'est qu'un exemple. Ceci est bien la preuve que c'est à son origine qu'il faut chercher le symbole et la signification d'un nom.

   Le nom même de Huelgoat est tout à fait significatif, si l'on considère qu'il veut dire "le bois de Judicael". Ce nom était porté par bien des princes bretons, du haut moyen âge. Mais le plus curieux de cette analyse est l'analogie entre ce nom de Huelgoat et celui donné par Geoffroy de Monmouth concernant un ancien nom de la ville d'Exeter, capitale de la Domnonée insulaire: Kaerpenhuelgoat. L'explication se trouve probablement dans les généalogies des familles princières.

Et, enfin, comment expliquer la présence non loin du site de Huelgoat de la forêt et de la chapelle de Saint-Ambroise ? Quel est donc ce saint ? S'agit-il de saint Ambroise, évêque de Milan? Mais alors pourquoi n'aurait-il pas d'autres lieux de culte en Bretagne? Mon sentiment est qu'il ne s'agit pas de saint Ambroise de Milan, mais d'un autre personnage illustre de l'histoire des Bretons: Ambrosius Aurelianus, Ambroise Aurèle, dit encore Emrys Gwledig par les Bretons, et qui est connu pour avoir été un farouche défenseur de la cause nationaliste bretonne face au problème des Anglo-Saxons. Fleuriot lui-même a fini par aboutir au sentiment que cet Ambrosius n'était autre que Riothamus, à tel point qu'il le nomme lui-même Ambrosius Aurelianus Riothamus, c'est-à-dire "Ambroise Aurèle le Grand roi". Ainsi, grâce au site du Huelgoat, le cycle s'en trouve complété. Car, en étant le 'grand roi', Ambroise a donc été à une certaine époque 'Arthur ' (roi) des Bretons. Il est logique qu'il soit vénéré dans la capitale des Bretons, en Armorique.

   Par la même occasion, la présence de cette ville royale, occupée par les Bretons, donne alors à l'Aulne une fonction qui ne lui apparaissait guère auparavant, celle d'avoir été la limite du royaume breton d'Armorique.


   Le premier roi de Bretagne armoricaine.


   Je rejoins tout à fait le sentiment de Fleuriot sur cette question. Il n'y a pas lieu de rejeter d'office le nom de Conan Meriadec, sous prétexte qu'il a été donné par Geoffroy de Monmouth. Il me semble, en vérité, qu'il s'agit là d'une mauvaise querelle faite à partir des considérations socio-politiques vis-à-vis de la famille de Rohan, qui prétend être issue de Conan lui-même. Je pense que cette étude est à reprendre de fond en comble, en effaçant tout ce qui pu être dit depuis deux siècles.

   Ce qui me fait penser à l'objectivité et à la réalité du personnage, est qu'il est également cité dans le Songe de Maxime, comme étant le petit-fils de Caradec, le fils d'Eudaf, le frère d'Adeon et le beau-frère de Maxime, par le mariage de celui-ci avec sa sœur, Elen.

   Le texte dit aussi qu'Adeon préféra rentrer en Ile de Bretagne, mais que Conan resta en Armorique. Il me semble que l'on ne peut être plus clair et il n'y a pas de raison d'accepter le principe de la filiation d'Eudaf, si on en excepte Conan. 

   La première partie du nom de Conan Meriadec est tout à fait révélatrice. Il s'agit à mon avis d'un épithète, ou d'une fonction.

   En effet, il suffit de le comparer à celui de Gwledig, attribué à Maxime. Si on décompose ce dernier, on obtient gwlad, breton moderne glad, qui signifie "pays; nation", d'une part, et -ig, qui est une terminaison accusative à valeur emphatique. L'ensemble signifie "chef du pays" ou "chef de la nation".

   Conan provient lui-même d'une racine celtique, présente en vieux-breton et en moyen-gallois : cun, signifiant "seigneur, chef".

   A qui donc Maxime, empereur, aurait-il confié l'autorité du royaume breton créé en Armorique, sinon au chef de la tribu bretonne en question, à savoir Conan, fils d'Eudaf (Kynan ap Eudaf) et de surcroît son beau-frère.

   Je pense que Conan Meriadec, Kynan ap Eudaf, a bien été le premier roi de la Bretagne armoricaine.

   Les toponymes en Conan ne manquent pas chez nous. Qu'il me soit permis de faire remarquer que le premier toponyme de commune situé à l'ouest de l'ancien fundus du Vieux-Bourg, c'est-à-dire au point de départ du territoire breton, est précisément celui de Saint-Connan. Curieuse coïncidence, pour le moins.

 

   Évolution des rapports entre les Bretons et les Armoricains.

 

   Le moins que l'on puisse en penser est que l'arrivée des Bretons a dû jeter quelque trouble chez les Ossismes, qui se sont vu dépouiller d'une partie importante de leur territoire. Quelle a pu être l'attitude de ces derniers à l'égard des nouveaux arrivants? Il n'est guère facile de le savoir, bien entendu. Cela demanderait à être approfondi. Il faut dire que les graves événements qui se sont déroulés en Italie et à Rome, au début du cinquième siècle, ont quelque peu éclipsé l'histoire du reste du monde occidental à cette époque.

   Mais les Bretons d'Armorique se sont-ils sentis concernés par l'abandon de la Grande-Bretagne par les Romains, à partir de 410. Je pense que Conan a dû se sentir plus solidaire de sa famille insulaire que l'autorité romaine du continent. Certains écrits nous laissent à penser que la situation a dû être assez troublée à cette époque. Il faut reconnaître que la situation politique des Bretons d'Armorique était forcément pour le moins ambiguë (1).

   Quoi qu'il en soit, le processus d'établissement de l'hégémonie bretonne sur l'ensemble du territoire des Ossismes semble évident, surtout à partir du cinquième siècle. Ceci se reflète dans un passage des romans de la Table ronde, intitulé la Bataille de Carohaise. Si on observe bien les textes, il apparaît que les Bretons sont dans la ville de Carohaise (Carhaix) et que les Gaulois, avec le soutien des Romains et des Allemands, cherchent à les en déloger. Arthur est, bien entendu, de la partie. Peut-être s'agit-il d'Ambroise Aurèle, qui sait ? Une date figure dans le texte : un mardi 30 avril, sans indication d'année. On obtient l'année par recoupement avec l'un des chapitres précédents, celui qui parle de Jules César. Il ne peut, bien entendu, être question du Jules César, le fameux conquérant des Gaules. Il s'agit, en fait, de Flavius Julius Nepos, empereur d'occident, en 474 et 475. Étant empereur, il était bien entendu 'auguste' et 'césar ', d'où son identification sous le nom de Julius Cesar, Julius (le) césar. On remarquera qu'il a été le seul empereur de cette époque à se prénommer Julius. De plus, il se trouve qu'en 474, le 30 avril tombait effectivement un mardi. On peut donc placer cette 'bataille de Carohaise' le mardi 30 avril 474. Ceci reste conjectural, bien entendu, mais on peut estimer qu'avant 476, date de la disparition définitive d'un empereur en Occident, le Poher était aux mains des Bretons (2).

   La dernière partie de la cité des Ossismes, à savoir le pays de Quimper, a été rattaché à l'évidence par des moyens diplomatiques, et surtout par les interventions de saint Corentin et de saint Gwennolé auprès du roi Gradlon. Ceclui-ci, païen, ivrogne, et impuissant à faire face aux exigences de ses barons et de sa propre fille, finira par accepter les conseils des deux missionnaires bretons et à se convertir au christianisme. L'extension matérialisée sur une carte du culte de saint Gwennolé est tout à fait explicite de l'hommage que lui ont rendu les habitants de cette partie de la cité des Ossismes. On place traditionnellement la fondation de l'abbaye de saint Gwennolé, à Landévennec, vers 485.

   La réunion de l'ensemble de l'ancien territoire des Ossismes semble être opérée vers les années 490. Ceci permet à Fleuriot de dire qu'en 497, "les Bretons se voyaient reconnaître un territoire accru de la cité des Curiosolites". Et pour cause, il était préférable à Clovis de trouver un arrangement avec les Bretons, qui avaient montré leur détermination sur ce secteur, plutôt que de les affronter.

   L'étape suivante était Vannes. Celle-ci tomba aux mains des Bretons en 579. Rennes et Nantes le seront vers 850. La Bretagne armoricaine avait atteint ses limites historiques..

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1.- Cf. Zosime

(1). note rajoutée : cette voie de recherche est obsolète. Elle était en effet basée sur le 'faux -postulat' que l'Armorique désignait la Petite Bretagne et que la Cornouaille répondait au nom des Cornovii du Cornwall, selon une littérature en vogue chez les historiens de cette époque. Voir à ce sujet notre étude sur la Genèse de la Bretagne armoricaine

(2) note rajoutée : cette question a été développée dans notre étude Emgann Karaez.

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