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La véritable limite

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   Nous avons maintenant les trois points primordiaux cités par Nennius :

   Mons Jovis, a la source du Gouet, sur la : cime de Kerchouan ; 

   Cant Guic (nom erroné, à Hillion); 

   Cruc Ochidient, au Menez-Hom.

   Et pourtant, l'enquête n'est pas terminée. D'une part, Nennius nous dit : "... depuis l'étang (.) du Montis Jovis...". Et, d'autre part, nous avons vu qu'il existe une anomalie au niveau du sud du Goëllo, celui-ci étant gallo alors que, logiquement, il aurait dû être bretonnant au moins jusqu'au Gouet. Cela nous demande de pousser la réflexion-encore plus loin.

 

L'ÉTANG DU MONS JOVIS

 


   II n'y a pas besoin de se perdre en d'inutiles détours : il n'y a pas d'étang au sommet de la cime de Kerchouan. Le seul plan d'eau qui existe aujourd'hui au lieu-dit Toul-ar-Sparlo n'est dû qu'à la présence d'une ancienne carrière à ciel ouvert. Par ailleurs, les quelques aménagements des sources du Gouet et de l'Oust ne peuvent pas, en eux-mêmes, évoquer l'idée d'étangs.

   Le pays environnant comporte, certes, de nombreux étangs mais, comme dans le cas de ceux de Saint-Bihy, les plus proches de la Cime, il s'agit de retenues d'eau artificielles, alors que l'étang cité par Nennius est, selon toute évidence, un étang naturel. Malheureusement, il est difficile aujourd'hui de reconnaître les anciens étangs naturels de cette époque, soit parce qu'ils ont été aménagés en retenues artificielles, soit qu'avec l'érosion naturelle aussi bien que par des travaux agricoles, ils ont pu se trouver comblés et disparaître a tout jamais. Mais ceci ne doit pas constituer pour nous une dérobade et ne nous empêche pas de pousser plus avant nos investigations.

   Revenons au texte de Nennius. La forme utilisée est la suivante : "... a stagno quod est super verticem Montis Jovis...". Ce qui trouble, dans cette phrase, est donc l'association: "... est super verticem ...", que plusieurs auteurs on traduit par: "... qui est au sommet du Mont Jovis...", comme nous l'avons vu précédemment.

   Or, comme il est rare, sinon impossible, de trouver un étang sur le sommet d'une montagne, étant donné qu'il y a forcément toujours des reliefs qui sont plus hauts que le niveau de l'eau, tout au plus peut-on dire "auprès du sommet". Mais à lire ces auteurs, on se rend bien vite compte que cette recherche ne semble pas provoquer chez eux un grand sentiment d'enthousiasme. Du reste, Fleuriot lui-même cite le Grand Saint-Bernard, qui n'est pas un sommet, mais un col, ce qui implique forcément l'idée d'un passage plus bas que les sommets, même s'il est vrai que ce passage est lui-même plus élevé en altitude que ses voisins. En tout cas, même si ce col est élevé, il n'en constitue pas pour autant un sommet, au sens propre du mot.

   Comme nous l'avons déjà dit, il est indispensable de rechercher tous les sens de la formule latine super verticem. Ceux qui correspondent le mieux à l'objet de cette recherche sont les suivants: "au-delà de"; "plus loin que"; "au nord de"; "à la verticale de". A savoir que l'on peut alors traduire : "... l'étang qui se trouve / au-delà de / plus loin que / au nord de / à la verticale du / sommet du Mont Jovis ...".

   La vérité se trouve une fois de plus dans la topographie et dans la logique. Puisqu'il nous faut orienter nos recherches entre la Cime de Kerchouan et la Manche, c'est-à-dire vers le nord, faisons comme l'auraient fait des voyageurs de cette époque, suivons la route gallo-romaine de Kerchouan au Sépulcre. A Saint-Gildas, nous sommes à la source de nombreux ruisseaux affluents du Trieux, à l'ouest, et du Gouet, à l'est. Or, cette route passe aussi dans la commune du Leslay, c'est-à-dire à la source du Leff, affluent du Trieux.

   Il faut le souligner, nous sommes là sur un point historique et précis de l'histoire de Bretagne, tout simplement parce que le Leff a justement servi de délimitation entre les évêchés de Saint-Brieuc et Tréguier, pendant près de mille ans, sur tout son cours, et de limite entre la haute et la basse Bretagne, sur son cours supérieur, de sa source jusqu'à sa confluence avec le Dourmeur, à Kerymber, en Bringolo.

   Après recoupement d'une visite sur place avec les renseignements recueillis auprès du maire de Leslay et des propriétaires concernés, il apparaît que le Leff est alimenté par trois sources principales : celle de Beaumanoir, la plus orientale, celle de La Ville-Collio, au milieu, et celle de Penpoulo, la plus occidentale.

   L'étang de Beaumanoir, pour aussi superbe qu'il puisse être dans son cadre magnifique, est une retenue d'eau artificielle, avec chaussée et vanne et, par conséquent, sort de nos investigations. A La Ville-Collio, il n'y a pas d'étang. Par contre, à Penpoulo, il y a effectivement un étang naturel, plus proche d'ailleurs du marécage que du plan d'eau. Le nom du lieu-dit est lui-même un indice intéressant puisque, outre le fait qu'il soit breton, il signifie aussi "le bout des mares": breton penn "bout, extrémité, sommet"; poull "mare" (poulloù, "les mares"). Les mots correspondants dans les autres langues celtiques sont, en gallois : llyn (breton lenn, "lac"); pwll, "étang, mare"; en cornique: pol, lagen (breton : lagenn), stagen, "étang" (breton stank, stankenn) ; gaélique: loch, "lac" (breton: loc'h), lochan, "petit lac", linn, "lac". Comme on le voit, l'acceptation du mot poull n'est pas réservée d'une façon stricte au sens de "mare", mais peut s'appliquer à toute sorte de plans d'eau.

   Autre chose curieuse, l'extrémité de l'étang est marquée d'une croix et on prétend que le lieu aurait été habité autrefois par des moines.

   Quoi qu'il en soit, force nous est de reconnaître que le Leff, rivière limite, prend effectivement sa source dans un marécage. Il apparaît donc qu'il s'agit de moins en moins être le fait du hasard si Nennius a parlé d'un étang, puisque c'est effectivement de là que part la limite entre le Trégor et le Goëlo.

   Je pense donc sincèrement, même si l'aspect du site n'est peut-être pas obligatoirement celui qui était le sien à la fin du quatrième siècle, compte tenu qu'en mille six cents ans les modifications dues à des faits naturels aussi bien qu'à l'intervention humaine ont pu rendre la donnée incertaine, que l'étang cité par Nennius a toutes les chances d'être celui de Penpoulo, en la commune du Leslay.

   L'explication du caractère gallo du sud du Goëlo.(1)

   Les cas de la source du Leff et du site d'Étables présentent un schéma identique : ils sont tous deux à proximité de la limite traditionnelle du Gouët, mais ils ne sont pas dessus. Ils sont tous les deux au nord de cette limite et, chacun, à une extrémité de la zone gallo du pays goëlo. La raison me semble maintenant limpide.

   Les autorités gallo-romaines et bretonnes ont d'abord choisi le Gouet comme limite de référence. Cela ne faisait que confirmer la limite traditionnelle des anciennes cités. Mais elles se sont rendues compte que cela allait créer une gêne au niveau de la gestion de la circulation maritime de la baie de Reginca. En effet, pour qu'il y ait cohérence dans l'organisation des signaux et des phares côtiers, il valait mieux que la responsabilité en soit confiée à une même garnison avec un commandement unique. Il s'est donc avéré qu'il était indispensable que le site d'Étables-sur-Mer, c'est-à-dire la côte entre Tréveneuc et le Gouet, dépende aussi de la même autorité que celle de Hillion, de Cesson, de Pléneuf et d'Erquy.

   Il s'est donc trouvé que le Gouet ne répondait plus aux données requises. Les autorités gallo-romaines et bretonnes se sont alors reportées, d'un commun accord, sur la rivière la plus proche située à l'ouest du Gouet, à savoir le Leff, d'une part, et sur le site le plus septentrional d'Étables, à savoir Tréveneuc, d'autre part. Cette zone correspond tout simplement au bassin de la petite rivière de l'Ic.

   Les Bretons se sont installés à l'ouest et au nord de cette ligne: source du Leff-Tréveneuc. La partie sud du Goëlo a été rattachée à la cité des Curiosolites et en a suivi les destinées.

   La logique historique s'en trouve ainsi respectée et vérifiée, puisqu'il est vrai que le Leff, depuis maintenant mille six cents ans a l'année près, a effectivement servi de limite entre la haute et la basse Bretagne, c'est-à-dire entre la Bretagne bretonnante et la Bretagne gallèse.

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- (1) : note rajoutée : cette disposition répond en fait aux dispositions du cadastre gallo-romain. L'attribution de ce secteur aux curiosolites est peut-être antérieure à lépopée de Maxime, qui n'aurait donc fait qu'utiliser le schéma déjà en place.

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