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Révolte de Boudicca (1)

 

 

Les notes se trouvent en bas de page

 

            Pendant que Suetonius Paulinus est en train de massacrer les druides de l'Ile Mona, un évènement d'une extrême importance vient de se produire chez les Iceni, tribu alliée de Rome, dans la partie sud-est de l'Ile, sur la Mer du Nord. (2)

            En effet, Prasutagus, le roi de la tribu, vient de décéder, en laissant par testament, conformément à une loi récente de Néron, la moitié de ses biens à sa veuve, la reine Boudicca et à ses deux filles, et l'autre moitié à l'empereur Néron lui-même (3). Pour concrétiser les choses en droit, Néron délègue chez les Iceni son procurateur Catus Decianus, chargé de faire l'inventaire des biens du roi défunt afin de pouvoir en établir un partage équitable, selon la loi de Néron lui-même.

            Malheureusement, l'esprit d'alliance des chargés d'affaires romains est bien plus théorique que réel. Pour eux, les Iceni ont beau être alliés de Rome, ils ne sont pas moins Bretons pour autant, c'est à dire des Barbares, et c'est donc en pays conquis que Catus Decianus se comporte vis à vis des habitants du pays.

            Rapidement, de vexations en insultes, le ton monte entre les représentants des deux communautés, jusqu'à ce que la reine elle même soit prise à parti par les fonctionnaires romains qui la flagellent et la violent en même temps que ses deux filles. Les nobles de la tribu sont dépouillés de leurs bien et mis en état d'esclavage. (4)

            C'est l'insulte finale, l'insulte de trop, inadmissible. Aussitôt, comme une traînée de poudre, la nouvelle se répand, et la révolte embrase le pays tout entier. Abandonnant leurs travaux des champs, les Iceni rejoints par un grand nombre de Trinobantes et de Catuvellauni se jettent à corps perdus sur les positions tenues par les Romains et leurs alliés. Le piège est en train de se refermer car les légions sont bien trop loin pour pouvoir porter secours aux assiégés. Partout les massacres qui se succèdent sont effroyables, et la rage de la vengeance pousse à la folie meurtrière. On tue, on pend, on égorge, on noie, on décapite, on écorche, on incendie. L'horreur absolue. Tout le pays est en peu de temps la proie du feu et des flammes.

 

 

Boudicca (Boadicea) victorieuse et ses deux filles

Monument  en bronze d'époque romantique érigé au pied de Big-Ben, 

à l'extrémité nord du pont de Westminster

Photographie personnelle JC. Even. 1983. Copyright

 

 

            La première grande attaque est dirigée contre la colonie de Camulodunum / Colchester "forteresse de la domination éternelle" (5). La petite garnison, réfugiée en toute hâte dans le temple de Claude, est vite submergée et anéantie par une ruée de Bretons enragés. La colonie, la forteresse, le temple ... tout est détruit et incendié. (6)

            Sur ces entrefaits, Petilius Cerialis, préfet de la Legio IX Hispania, détache en catastrophe les réserves de sa légion stationnées à Lindum / Lincoln, au secours de Camulodunum / Colchester (7).

            Peine perdue. Les Bretons, que maintenant plus rien n'arrête, massacrent purement et simplement l'infanterie de la légion, et ce n'est qu'avec mille peines que la cavalerie, avec Petilius lui même, parvient à éviter le désastre complet en se repliant sur sa base de Lindum / Lincoln et en s'y enfermant.

 

 

Camulodunum et le temple de Claude sont en flammes. Les légionnaires sont inquiets.

Boudicca's Revolt. Ian Andrews. Cambridge University Press. p  25.

            Quant à Suetonius Paulinus, revenu en toute hâte vers Londinium / Londres, et considérant la faiblesse de ses forces locales par rapport à la masse considérable des Bretons en furie, comprend alors l'énormité de son erreur d'avoir attaqué l'Ile Mona en dégarnissant ses arrières, décide lui aussi d'abandonner la place, malgré les supplications de la population terrorisée. Dans la ville, c'est alors la panique générale. (8)

            Les Iceni et leurs alliés fondent de toutes parts, et c'est au tour de Londinium / Londres d'être mise à sac, pillée, incendiée, puis anéantie. Tous les habitants qui n'ont pas le temps ou la possibilité de s'enfuir à temps sont massacrés sur place sans pitié. Un grand nombre d'entre eux est jeté vivant et noyé dans la Tamise. On a même le détail de femmes embrochées de part en part dans le sens de la longueur et immolées (9). Tout le monde y passe, sans distinction d'âge ni de sexe. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tombent tour à tour sous le fléaux de la mort. La vision est atroce. Les rues sont couvertes de cadavres et de mourants sauvagement mutilés. La ville crépite dans les flammes et la Tamise, qui n'est plus qu'un fleuve de sang, ne sait plus que faire de ces cadavres qu'on lui jette en pâture. De partout montent des hurlements sanguinaires qui se mêlent aux cris d'horreur, d'effroi et de douleur des victimes immolées au nom de la Vengeance.

            Telle est Londinium / Londres , en cet été 60 après J.C. (10)

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Ordnance Survey. extrait de : Londinium. A descriptive map and guide to Roman London.

            Laissant Londinium crouler sous ses cendres, maintenant qu'il ne s'y trouve plus personne à égorger, les Iceni se dirigent alors vers Verulamium, capitale des Catuvellauni, elle aussi évacuée en toute hâte par les Romains. La ville devient à son tour le théâtre du cauchemar et de l'holocauste. Verulamium, à son tour, est incendiée, pillée, anéantie et sa population, pas plus chanceuse que celles de Camulodunum et Londinium est massacrée à son tour sans pitié. (11)

            Les Romains sont totalement désemparés. L'impétuosité de Petilius Cerialis a été fatale à la Legio IX Hispania. Poenius Posthumus, préfet de la Legio II Augusta, refuse de quitter sa position d'Isca Dumnuniorum / Exeter (12), d'autant qu'il semble lui même en position difficile dans un pays apparemment hostile. Seul donc, Suetonius Paulinus dispose encore de la Legio XIV Gemina et de la Legio XX Valeria et de quelques alliés, et est en mesure pour l'instant de tenir tête au déferlement des hordes bretonnes. Mais la situation est tellement grave qu'à Rome certains considèrent déjà la défaite finale et la perte définitive de la Bretagne pour l'Empire. (13)

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Zone de conflit lors de la Guerre de Boudicca

Dessin par John WEST, dans  Roman Britain, 55BC *AD409

            Sur le terrain, Suetonius Paulinus voit arriver le moment où il va être contraint de livrer le dernier combat. Gardant la maîtrise de soi et de ses troupes dans cette situation extrêmement tragique, il établit son champ de bataille quelque part du côté de Manduessedum / Mancetter ou Ratae Coritanorum / Leicester.

            La bataille qui s'engage sans tarder est d'une férocité extrême car l'enjeu est de taille : ou bien les Bretons sont vainqueurs et tous les Romains et leurs alliés seront massacrés jusqu'au dernier, ou bien les Romains réussiront à se dégager et se sera la fin de l'insurrection et de l'indépendance bretonne.

            Après une journée de combats sanglants et sans merci, les légionnaires parviennent à repousser les assauts des Bretons, puis à les bloquer en les coinçant contre leurs propres chariots de guerre et autres véhicules de transport qu'ils avaient parqués sur leurs arrières et qui leur coupent désormais toute possibilité de repli. (14)

            Le fléaux de la mort vient de changer de camp, et c'est au tour des Romains de faire un grand massacre chez les Bretons. A leur tour, les Iceni et leurs alliés sont taillés en pièces, massacrés sans merci et mis en déroute.

            La victoire finale, une fois de plus, reste aux Romains. Mais quelle amère victoire. Apprenant la nouvelle de la résistance héroïque et de la victoire finale de Suetonius Paulinus et de ses deux légions, Poenius Posthumus, préfet de la Legio II Augusta, qui n'a pas osé sortir de sa forteresse, déshonoré et humilié, se transperce de son épée. (15)

            Boudicca, la reine malheureuse des Iceni échappe aux outrages en se donnant la mort par le poison. (16)

            Enfin, en plus d'une légion anéantie, cette révolte aura vu périr, aux dires de Tacite, près de soixante dix mille Romains et alliés, et près de quatre vingt mille Bretons. (17)

            Rapidement, l'empereur Néron envoie de Germanie deux mille légionnaires, huit cohortes alliées, et mille chevaux pour compléter la Legio IX Hispania et pour garnir les quartiers d'hiver. (18)

            Rendu sanguinaire et fou de vengeance, Suetonius Paulinus entame des représailles terribles en mettant la pays à feu et à sang, et en affamant la population.

            " ... tout ce qui s'était montré indécis ou ennemi est dévasté par le fer et la flamme. Mais rien ne les désolait autant que la famine ..." (19)

            Le châtiment du peuple est à la proportion de la honte et de l'injure subie par le gouverneur. Aussi, afin d'éviter que ces exactions ne provoquent une nouvelle flambée de violence par désespoir, Suetonius Paulinus est relevé de ses fonctions et remplacé par Petronius Turpilianus qui n'a pas été mêlé à cette affaire et n'a donc pas d'honneur personnel à laver dans une vengeance stérile et inutile. (20)

            La Bretagne du sud est exangue et ruinée sous le poids de ces dix sept années de guerre.

La révolte de Boudicca

1. Les sources proviennent essentiellement de Tacite, Annales, Livre 14, Agricola, XIV, XV, XVI, et Dion Cassius, Histoire, LXII. La révolte de Boudicca et des Icéniens fait l'objet d'un chapitre séparé, car il marque un tournant décisif dans l'histoire de la conquête de la Bretagne par les Romains. 

2. Tacite. Agricola. XIV : " ... en attaquant l'Ile Mona, il laissa derrière lui le champ libre à la rébellion".

3. Tacite. Annales. 14/XXXI : " Le roi des Icéniens, Prasutagus, célèbre par une longue opulence, avait nommé l'empereur son héritier, conjointement avec ses deux filles".

4. Tacite. Annales. XXXI; Tacite. Agricola. XV et XVI. : " Pour premier outrage, sa femme Boadicée est battue de verges, ses filles déshonorées ..."

5. Tacite. Annales. 14/XXXI

Selon Dion Cassius. Histoire. LXII.2.3 : le nombre de Bretons révoltés se montait à 120 000 hommes.

6 et 7. Tacite. Annales. 14/XXXII

8. Tacite. Annales. 14/XXXIII

9. Dion Cassius. Histoire. LXII.7.2 et 3 :

" Those who were taken captive by the Britons were subjected to every known form of outrage. The worst and most bestial atrocity committed by their captors was the following : they hung up naked the noblest and most distinguished women and then cut off their breasts ans sewed them to their mouth, in order to make the victims appear to be eating them; aftewards they impaled the women on sharp skewers run longthwise through the entire body. All this they did to the accompaniment of sacrifies, banquets and wanton beheviour, not only in all their other sacred places, but particularly in the grove of Andraste. This was their name for Victory, and they regarded her with most exceptional reverence".  "Ceux qui étaient capturés par les Bretons furent soumis à toutes les formes de supplices. La pire et plus appréciée des atrocités bestiales des auteurs des captures était la suivante : ils pendaient les plus nobles et les plus distinguées des femmes en leur coupant les seins et en les leurs cousant dans la bouche, afin de donner l'impression que leurs victimes étaient en train de les manger; après quoi ils empalaient les femmes sur des pieux aiguisés dans le sens de la longueur. Ils accompagnaient tout cela de sacrifices, ripailles et attitudes dénuées de pudeur, non seulement dans tous les lieux sacrés, mais en particulier dans la grotte d'Andrasta. C était leur nom pour la déesse Victoire, vis à vis de laquelle ils avaient une révérence toute particulière"

Traduction JC Even 

10. Peter Marsden. Roman London. Chap. III.

" Loin en dessous des murs modernes de la ville de Londres, les évènements de 60 sont incrustés de façon indélébile sur le sol sous l'aspect d'une couche de cendres rouges de débris calcinés de 45 cm d'épaisseur environ".

" Même s'il n'y avait pas eu de traces écrites que Londres aurait été détruite vers 60, les découvertes archéologiques auraient suffi à le démontrer. La couche de cendres a été découverte sur plus de douze sites, à une profondeur moyenne de ' mètres, la plupart au nord de London Bridge ..."

Colchester Borough Council. Roman Colchester. III :

" La preuve évidente de cette destruction est confirmée par les couches de débris calcinés trouvés dans la ville à l'ouest du temple. Dans la Lion Walk (Promenade du Lion) une maison, construite en troncs de bois enrobés (de terre), a été soumise à une telle intensité de chaleur que l'argile a été cuite presque comme de la brique, et préserva ainsi la trame de ses plus petites armatures. Une portion en a été déposée au musée. Non loin se trouvaient les restes carbonisés de deux hamacs.

Dans la High Street (Rue Haute), en 1927, sur le site du restaurant Jacklin du côté nord, il y avait " un remarquable dépôt de poterie cassée, verre et autres produits, presque exempt de terre, et ainsi sans protection ces fragments s'en allèrent en pluie cliquetante dès qu'on les toucha". Ce dépôt contenait des bocaux de poterie samienne ou de type similaire, et d'autres vaisselles, d'abord brisées puis brûlées au noir. Dans certains cas, le verre avait fondu."

11. Tacite. Annales. 14/XXXIII " Le municipe de Verulam éprouva le même désastre ...".

12. Tacite. Annales. 14/XXXVII.

13. Suétone. Néron. XXXIX; XL.

Selon Dion Cassius, LXII.8.2, Boudicca aurait engagé pour le combat final 230 000 hommes.

14. Tacite. Annales. XXXVII : " ... la fuite était difficile, parce que la barrière continue des chariots fermait les issues ". 

15 et 16. ibid.

17 et 18. Tacite. Annales. XXXIII et XXXVII.

19. Suétone. Agricola. XVI.

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