retour à la page d'accueil

L'armée de Maxime

 

i

Quels étaient les soldats bretons de Maxime ?

*****

 


Pour arriver à les identifier, il nous faut procéder par élimination, par recoupements de trois documents principaux :

— la Notitia Dignitatum,

— la Guerre des Goths, de l'écrivain latin Claudien,

— le Songe de Maxime, texte publié dans la série des Mabinogion.


*****

1. La Notitia Dignitatum, ou liste des dignités (ou des charges) des responsables de l'empire.


   II s'agit d'un document qui date de la fin du quatrième et du début du cinquième siècle, dont l'objet est d'établir un état récapitulatif aussi exhaustif et aussi complet que possible de l'administration civile et militaire de l'empire romain.

   Jones (1964) pense que la partie concernant l'empire d'Orient, la première à avoir été mise en chantier, a été rédigée vers 395 et transmise en Occident entre 395 et 408. La partie concernant l'empire d'Occident aurait été révisée probablement en 408, puis corrigée à nouveau vers 423.

   Fleuriot (1982) situe la rédaction entre 395 et 455.

   Ce qui est important pour notre étude est que ce document nous apporte des précisions particulièrement appréciables sur les effectifs militaires dans l'Ile de Bretagne après l'échec final de l'épopée de Maxime, et cela nous permet d'établir le montant de la 'soustraction' approximative effectuée entre 383 et 388.

   La Notitia est tout à fait claire sur la désignation des légions en poste et sur les titres respectifs de leurs chefs :

   - Le préfet de la Vlème légion porte le titre de "Dux Britanniarum" et commande directement à toutes les unités du nord de la province, et particulièrement aux garnisons du Mur d'Hadrien.

   - Le préfet de la IIème légion, à Rutupis, porte le titre de "Cornes litoris Saxonici per Britanniam" et commande aux neuf bases de défense côtière du sud-est de l'Ile de Bretagne, situées de part et d'autre de l'embouchure de la Tamise.

   Sur les trois légions de Bretagne, la Notitia Dignitatum n'en cite donc plus que deux: la Vlème Victrix, de Eburacum (York), et la IIème Augusta, de Rutupiae (Richborough). Celle qui manque à l'appel est donc la XXème légion Valeria Victrix, de Dêva (Chester). 

   Autre fait marquant, cette XXème légion ne figure dans aucun document contemporain ni postérieur à la Notitia Dignitatum.

*****

1.— Dux et Comes ont donné respectivement "duc" et "comte".

2. Claudien, La guerre des Goths.


   Claudien est né à Alexandrie, en Égypte, vers 370. A partir de 398, il devient le poète officiel de l'empereur Honorius et de son régent Stilichon. L'un de ses textes, rédigé en latin, revêt pour nous autres, Bretons, une grande importance pour la compréhension de notre sujet, d'autant que la date du décès de Claudien, survenue en 404, ne permet aucune confusion ni sur l'époque, ni sur la chronologie des événements.

   En 402, Alaric et ses Wisigoths, après avoir ravagé la Grèce et les provinces danubiennes, était aux portes de l'Italie. Alaric avait juré "... par le Danube qu'il ne délacerait pas sa cuirasse avant d'avoir foulé de ses pieds le sol du forum".

   En Italie, où l'on avait entendu parler de l'extrême barbarie des Wisigoths, la panique était alors quasi générale, à tel point que le gouvernement lui-même s'était réfugié à Lyon, capitale de la Gaule.

   N'ayant guère de ressources militaires sur place, le régent et général Stilichon rappelle de toute urgence les légions provinciales pour tenter d'endiguer l'avance des Wisigoths. Voici ce qu'en dit justement Claudien :

   "Ainsi accourent d'abord les récents défenseurs de ]a Rhétie, qui, en témoignage de leur fidélité, portent les dépouilles des Vandales, leurs voisins. Vient ensuite l'armée qui, aux extrémités de la Bretagne, a pour mission de réprimer la fureur des Scots et qui déchiffre sur le pâle visage du Picte mourant les dessins tracés par le tatouage; puis les troupes qui font face aux blonds S/cambres, celles qui maîtrisent les Cattes et les indomptables Chérusques ; tous apportent ici leurs armes menaçantes et quittent les bords du Rhin, que la terreur du nom romain suffira à contenir, à défaut des garnisons qu'on lui a ôtées...".

   Comme on le voit, les armées qui sont rappelées à la rescousse, en 402, sont avant tout celles des frontières du Haut-Danube, du Rhin et de la Bretagne. Le moins que l'on puisse dire est que Stilichon a pris d'énormes risques en dégarnissant ainsi ces frontières traditionnellement 'sensibles' et maintes fois éprouvées par les attaques barbares. Sur le Rhin, ce retrait des garnisons est des plus évidents, comme en témoigne cet autre passage de Claudien :

   "La Germanie... ne tente pas de franchir une frontière dégarnie, ni d'avancer dans un pays largement ouvert..."

   Les populations ne semblent pas partager le moindre optimisme et l'inquiétude des peuples d'Occident est à nouveau exprimée dans ces lignes du même auteur :

   "Soyez-en convaincus, tous les peuples que nourrit la rude Bretagne, ou l'Ister, ou le Danube, sont suspendus dans l'attente et aux aguets".

   C'était effectivement extrêmement osé mais, grâce à son audace, Stilichon et ses armées parviennent à bloquer Alaric à Pollentia, puis à Vérone, pour enfin le refouler en Dalmatie.

   Concernant cette . armée de secours venue de Bretagne, la description en est suffisamment concise pour que, bien que son nom n'ait pas été cité, les historiens sont unanimes pour reconnaître la Legio VI Victrix, de York.

   Les descriptions fournies par Claudien : "... aux extrémités de la Bretagne...", "... qui a pour mission de réprimer la fureur des Scots..." et "... le pâle visage du Picte mourant..." correspondent exactement à la légion en poste sur le Mur d'Hadrien, laquelle, comme nous l'avons vu à propos de la Notitia Dignitatum, a son quartier général à York, sous les ordres du 'dux' de Bretagne.

   L'empressement de cette légion a répondre à l'appel de Stilichon et à intervenir en 402 sur le continent se comprendra d'autant plus aisément qu'à part cinq ou six cohortes de Bretons, elle était presque entièrement constituée d'éléments du continent, à savoir des Belges, des Gaulois, des Espagnols, des Portugais, des Italiens et des Dalmates, c'est-à-dire par des gens directement concernés dans leurs familles et dans leurs biens.

   Quoi qu'il en soit, et grâce à cela, nous savons qu'en 402, la Legio VI Victrix était toujours en poste en Bretagne, sous les ordres du 'dux '.

   Le texte de Claudien confirme par conséquent la Notitia Dignitatum, au moins en ce qui concerne la Vlème Légion. Mais on sait aussi — et cela grâce à des découvertes archéologiques — que le retrait des troupes romaines de l'Ile n'a pas été total à partir de 410. On est maintenant à peu près persuadé que le quartier général de la IIème Légion Augusta était toujours en activité après cette date, et cela semble être confirmé par ce passage de la Chronique anglo-saxonne, qui précise pour l'année 418: "Cette année-là, les Romains regroupèrent tous les trésors qui étaient en Bretagne et enfouirent quelques-uns dans la terre de façon que nul ne puisse les découvrir plus tard, et emmenèrent d'autres avec eux en Gaule".

   En fait, le Kent a été la dernière partie de la Bretagne à avoir été abandonnée par les Romains, et le Kent était justement du ressort de la IIème Légion Augusta. C'est pourquoi nous pouvons dire que cette légion était bien toujours en Bretagne au début du cinquième siècle.

*****

3. Le Songe de Maxime.


   Il s'agit là de l'un des poèmes gallois des Mabinogion, ensemble de textes écrits entre le sixième et le dixième siècles. Ce 'songe', ou 'rêve', explique de quelle façon Maxime a épousé la 'plus belle femme du monde' et comment, grâce à sa belle-famille, il a réussi à conquérir la Gaule, Rome, et à s'emparer du pouvoir.

   Notre but n'est pas ici de disserter sur ce texte, mais d'en extraire le contenu historique.

   Cette princesse, en fait, s'appelle Elen et elle est la fille d'Eudaf, roi du pays d'Arfon, au nord du Pays de Galles. Eudaf est dit fils de Caradoc. Lui-même a deux fils, Kynan et Adeon. Elen demande à Maxime, en guise de cadeau de mariage, la couronne de Bretagne pour son père, ainsi que plusieurs forteresses : Caernarfon (au nord du pays de Galles), Caerleon (il y en a deux) et Caerfyrddin (Carmarthen, au sud-ouest du pays de Galles). Il s'agit à l'évidence d'une délimitation d'un royaume englobant tout le pays de Galles. Plus tard, quand il mit le siège devant Rome, c'est à ses deux beaux-frères Kynan et Adeon que Maxime confia la mission de s'emparer de la ville, en son nom.

   Nous avons vu précédemment que tout ce secteur était sous le contrôle de la XXème légion Valeria Victrix, dont le quartier général était à Dêva (Chester). Les trois forteresses citées par Elen sont donc trois bases de cette légion et peut-être même que le Caerleon n'est que Dêva elle-même (Chester = Cair Legion).
La désignation est donc on ne peut plus claire : les soldats de Kynan et d'Adeon sont des soldats de cette XXème légion Valeria Victrix, et ce sont bien ceux-là qui ont suivi Maxime en Gaule.

*****

4. Identification des soldats bretons de Maxime.


   Je ne rentrerai pas dans la querelle de savoir si ces soldats étaient des Bretons autochtones ou des soldats 'romains', c'est-à-dire au mieux des Italiens. Cela est une querelle du dix-neuvième siècle, qui est résolue aujourd'hui. On sait maintenant, en effet, qu'à l'époque du bas empire romain, le recrutement militaire était avant tout local, par enrôlement des indigènes, ceux-ci pouvant très bien être soit des Bretons purs, soit des descendants des vétérans des premières légions, plus ou moins adaptés au monde celtique, soit enfin un mélange des deux espèces obtenu le plus souvent par mariage de légionnaires continentaux avec des femmes bretonnes. Quoi qu'il en soit, le personnel des légions avait avant tout une forte coloration locale. Ceci est aujourd'hui acquis et reconnu.

   L'encadrement, quant à lui, pouvait être composé de Romains de la métropole (de l'Urbs) ou d'Italiens, certes. Mais, pour ces légions de frontières, devenues permanentes, les commandements étaient plutôt assurés par des officiers issus le plus souvent de familles nobles des provinces d'Occident, qu'ils fussent Italiens, Espagnols, Gaulois ou Bretons. Tel fut le cas du comte espagnol Théodose, en 360-370, et tel était le cas de Maxime lui-même.

   Autre fait également très intéressant est que Dêva, le quartier général de la XXème légion, était situé sur le territoire de la tribu bretonne des Cornovii, capitale Viroconium. Cette tribu a été une alliée zélée et permanente des Romains, à telle enseigne que l'on trouve la troisième cohorte cornovienne basée à Newcastle, base de toute première importance du Mur d'Hadrien. Ceci prouve bien que cette tribu était parfaitement militarisée et acquise à la cause romaine.

   Le recrutement étant essentiellement local, comme nous venons de le voir, ce sont donc les Cornovii qui constituaient le gros des effectifs de la XXème légion. En corollaire, il est donc probable que ces mêmes Cornovii aient été affectés aux différentes bases de la XXème légion, dont, bien entendu, Caernarfon, Caerfyrddin, Caerleon, ce qui confirme les lieux cités dans le Songe de Maxime, mais aussi, sans doute, Sea Mills, près de Bristol, et Tintagel... en Cornouailles britanniques.

   En résumé, on peut dire que si la XXème légion n'a pas constitué l'ensemble des troupes bretonnes de Maxime, c'est bien elle qui, en tout cas, en a constitué le noyau dur, et ceci est aussi accepté par d'autres historiens.

*****

retour en tête de page